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Parlez-moi d'amour

Il fait beau, j’ai mis une jolie robe, je me sens bien. Je traîne dans la maison, j’ai envie de prendre mon temps, de regarder les fleurs de mon jardin qui sont magnifiques, c’est le Printemps. Les oiseaux viennent s’amuser dans les branches des arbustes. Dans quelques heures, la chaleur va arriver et avec elle les abeilles et les parfums. Le ciel est bleu, les hirondelles commencent à arriver.

Dans la boîte aux lettres je découvre une lettre de Blaise :

 « Tu es tellement belle mon Amour. J’aime ton sourire, tes cheveux blonds, je rêve de ta peau bronzée. Tu as des yeux de biche. Ton corps est parfait, j’ai toujours eu envie de rencontrer une femme aussi jolie que toi. Je t’ai toujours cherchée, et je t’ai enfin trouvée »

Blaise est vraiment adorable, il est très beau lui aussi, très grand, mince, musclé, nous formons un très beau couple, les gens nous regardent dans la rue. Quelle chance de l’avoir rencontré, moi qui ne me trouve pas terrible, qui fait attention à mon alimentation, qui fait du sport et essaie de porter des vêtements qui m’avantagent, j’ai enfin trouvé quelqu’un qui apprécie mes efforts. C’est tellement agréable de se trouver belle dans le regard d’un homme.

J’ouvre ma boîte mail comme tous les matins.  Ismaël m’a écrit :

« J’ai adoré la discussion que nous avons eu l’autre jour. Nous avons les mêmes goûts, la même façon de penser. Comme c’est agréable de parler avec quelqu’un de cultivé, qui s’intéresse à plein de choses. Partons en vacances ensemble si tu veux bien, nous visiterons Rome, le Forum, nous verrons la Chapelle Sixtine, j’ai hâte de partager ces merveilles avec toi »

J’ai rencontré Ismaël à un stage sur le cinéma italien. Il est enseignant, porte des lunettes à la Woody Allen. Nous étions assis l’un à côté de l’autre et nous avons passé la journée ensemble, incapables de nous quitter. Nous avons parlé,  musique,  peinture, littérature. C’est tellement agréable de discuter avec un homme qui ne pense pas qu’à votre décolleté.

Sur mon portable Eddie a laissé un message :

« Ma chérie, je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi, tu es merveilleuse. J’étais malheureux, mais avec toi ma vie va changer. Je sais que je peux prendre un nouveau départ avec toi. Je t’attendais, tout était gris, mais maintenant tu es là ».

Eddie est l’ami d’un collègue que j’ai rencontré à un dîner. Il a tout de suite flashé sur moi. Il m’a regardé toute la soirée avec des yeux éperdus d’amour. Nous avons beaucoup parlé et beaucoup ri. Nous sommes rentrés ensemble à pied, il m’a expliqué qu’il était en plein divorce, que rien n’allait plus pour lui, mais avec notre rencontre,  il sentait que tout allait s’arranger. C’est tellement  agréable de se sentir utile à un homme, c’est très flatteur de penser qu’on peut le rendre heureux. Si il est heureux, je serai heureuse aussi.

Un voyant clignote sur mon répondeur. Je décroche et j’entends la voix de Simon :

« Mon Amour, je suis encore sous le coup de l’émotion que j’ai ressentie l’autre nuit. Je n’avais jamais ressenti une telle communion. Nos corps sont parfaitement accordés, à plus de 40 ans tu as fait de moi un homme. Tu es la femme de ma vie, je le sais, je ne pense plus qu’à refaire l’amour avec toi, nous sommes faits l’un pour l’autre. »

Simon est un ami de ma sœur, il a une démarche super sexy avec des petites fesses toutes rondes. Il a un sourire à tomber par terre, et il sent très bon. Nous avons couché ensemble dès le premier soir. Nous  nous sommes respirés, caressés, emmêlés, nous sommes restés cinq jours et cinq nuits sans pouvoir nous décoller l’un de l’autre. C’est tellement agréable de rencontrer un homme avec qui faire l’amour est une évidence comme manger ou respirer.

On sonne à la porte. C’est Gaël, il a l’air triste et malheureux,

« Bonjour, j’avais peur que tu ne sois pas là. Je suis épuisé mentalement et physiquement. Je suis au bout du rouleau. Prends-moi dans tes bras s’il te plaît ».

Gaël est doux et chaud, on s’assoit et il pose sa tête sur ma poitrine. C’est tellement agréable de pouvoir réconforter un homme, je suis flattée qu’il ait besoin de moi.

Est-ce que je me reconnais dans ce portrait que me dressent mes amoureux ? Je suis belle, intelligente, exceptionnelle, je suis une bombe sexuelle et je suis gentille. Cette personne est bien loin de moi finalement. Admettons que je sois belle, si il m’arrive un accident et que je suis défigurée, Basile m’aimera-t-il-encore, et quand je vieillirai que se passera-t-il ? Si je m’affale devant la télé pour regarder Dallas avec le magasine Voici ouvert devant moi, est-ce qu’Ismaël sera toujours subjugué ? Et si je ne comble pas les attentes d’Eddie, si au bout de quelques mois voire quelques années, il est toujours malheureux, me tiendra-t-il pour responsable de sa déprime ? Je peux tomber malade et avoir une baisse de libido pendant quelques temps, Simon le supportera-t-il ? Pendant ma maladie, je peux avoir besoin moi aussi d’être réconfortée, Gaël pourra-t-il être présent pour moi ?

J’ai rencontré un homme qui me trouvait belle, intelligente, exceptionnelle, sexy et gentille, pourtant il m’a quittée. Je suis en fait, une fille tout à fait ordinaire avec ses problèmes et ses soucis. Une fille normale quoi, est-ce normal finalement d’attendre tant de choses d’une personne ? Qu’est-ce que l’Amour finalement ? Peut-être est-ce que c’est d’accepter l’autre tel qu’il est avec ses qualités, ses défauts et ses soucis, mais un homme capable de cela est-il tellement difficile à trouver, c’est un être exceptionnel finalement, zut je cherche quelqu’un d’exceptionnel ! Moi aussi je me trompe complètement !

Période de flottement

La pire journée de ma vie

Je m’appelle Vincent, je vis avec Adeline. On se connaît depuis l’enfance et on continue à jouer comme des gamins. Elle est courageuse et s’occupe de tout dans la maison. Je l’admire pour son sens de l’organisation, son efficacité. Moi je suis incapable de faire tout ça, le ménage, les factures, les crédits ; j’avoue que je ne suis pas du tout intéressé par ces contingences matérielles.  Je suis professeur de littérature comparée à l’université. Je suis très occupé par mon travail, je lis beaucoup, et j’ai parfois l’impression de vivre dans un monde imaginaire. Nous avons un petit garçon qui s’appelle Rodrigue, j’ai peu de temps pour lui, mais je sais qu’Adeline est là, elle prend soin de son éducation et de sa santé.

La semaine dernière, je suis allé donner une conférence à Malmö en Suède. J’ai rencontré Anita, elle m’a littéralement sauté dessus. Elle est belle, blonde, avec des yeux bleus, et surtout, elle est très libre sexuellement. Je n’avais aucune intention de tromper Adeline, que j’aime, mais je suis faible, et je me suis laissé faire. Nous avons passé quatre jours de folie, j’ai d’ailleurs eu beaucoup de mal à me concentrer sur mon travail.

De retour en France, j’ai repris ma vie avec Adeline.

« J’ai fait les comptes c’est une catastrophe ! Tu as acheté un nouveau costume ? Tu as vu son prix ? Tu es complètement inconscient ma parole ! »

Adeline est vraiment trop terre à terre.

« J’ai acheté ce complet parce qu’il me faisait envie, un nouveau créateur s’est installé au coin de la rue, tu devrais aller voir, il a des robes qui t’iraient à merveille. »

« Je te dis que nous sommes à découvert ! Il n’est pas question que je m’achète des robes. Les huissiers vont venir nous saisir, qu’est-ce qu’on va devenir ».

Adeline a tendance à tout dramatiser.

« L’argent ça va ça vient. Arrête de t’inquiéter, profite de la vie ».

Mon portable sonne : Anita ! Je décroche :

« Allo, je suis à Paris, on se voit ? »

« Bien sûr, je vous rappelle. »

Je dois trouver un moyen de voir Anita, mais je dois être discret.  Je sors pour aller acheter des cigarettes.

« Allo Jean-Louis ? »

Jean-Louis est un de mes collègues, il a régulièrement des aventures il va me dire comment faire.

« Donne-lui rendez-vous au Blue Hotel, c’est facile d’accès, tu peux y passer quelques heures, et ce n’est pas cher. »

Sauvé !

J’appelle Anita :

« Allo Anita ? On peut se voir au Blue Hotel si tu veux. Je suis dispo à partir de 17 h. C’est super non ? »

Anita ne dit rien,

« Tu ne réponds pas ? Tu n’es pas contente ? »

Une voix que je connais bien est au bout du fil :

« Je ne sais vraiment pas quoi te répondre Vincent ».

Qu’est-ce que j’ai fait ? Ce n’est pas possible, je me suis trompé de numéro.

« Allo ? »

« Tu es un crétin Vincent ».

J’ai appelé Adeline ! Quelle catastrophe ! Qu’est-ce que je vais devenir ? J’ai une idée, tout va s’arranger !

« Allo ? Tu as marché, tu as cru que j’avais une maîtresse ? Je t’ai bien eue. Qu’est-ce qu’on mange ce soir ? »

« Pauvre idiot, tu es pathétique ».

Je suis perdu, je ne peux pas la perdre, où vais-je dormir ce soir ? Je ne peux pas me débrouiller tout seul, je suis un artiste, j’ai besoin d’elle.

Je décide de rentrer.

« Excuse-moi, je vais tout t’expliquer. »

Adeline est très en colère, ses yeux noirs me lancent des éclairs, ces beaux cheveux ébènes sont électriques.

« Tu me laisses me débrouiller avec tous les soucis, et tu ne penses qu’à t’envoyer en l’air avec une fille ? »

« Je l’ai rencontrée à Malmö, c’est une Suédoise, tu sais comment elles sont ? Elle m’a presque violé. Tu me connais, je suis faible, je ne sais pas me défendre. Ce n’est pas sérieux ».

« Tu es un imbécile, un incapable, j’ai mis tes affaires dans le dressing, tu dormiras là, il n’y a pas d’autre place ».

« Pardonne-moi, j’ai eu tort. C’était une connerie, je le reconnais ».

Que faire ? Je ne peux pas vivre sans Adeline, elle est ma colonne vertébrale, elle s’occupe de tout, je ne pourrais pas vivre, travailler, m’épanouir sans elle. J’entends du bruit dans le salon, Elle téléphone à quelqu’un, elle a mis le haut-parleur, je reconnais la voix de sa tante.

« Ma pauvre Adeline, ce n’est pas si grave. Si tu savais ce que j’ai vécu. Ce sont les femmes qui font tourner le monde ».

« Notre fils a besoin de son père, il m’énerve, il est tellement irresponsable ! »

« Les hommes sont des animaux de compagnie ma fille, n’attends rien d’eux ».

Ouf ! Sympa la tante, j’espère qu’Adeline va l’écouter. Je ne peux pas partir. Mon portable sonne, c’est Anita, je ne décrocherai plus, elle finira bien par se décourager.

Il y a des préparatifs, Adeline organise un dîner.

« J’avais invité quelques amis, je n’ai pas annulé ».

Je lis les noms sur les cartons devant les assiettes, je vois « Vincent », je suis à nouveau accepté, quel soulagement, j’ai vraiment failli tout perdre.

 

Priscilla Dutot

Aujourd’hui, je ne travaille pas, je vais pouvoir regarder mon émission préférée : « les Marseillais à Cancun ». J’adore ce programme, il y a des gars et des filles qui viennent de Marseille, et ils vont devoir vivre ensemble dans un endroit de rêve : Cancun. J’avais jamais entendu parler de cet endroit, c’est trop de la balle ! C’est au Mexique, mais il n’y a pas de Mexicains comme dans les westerns. En fait, c’est super moderne là-bas, on dirait Miami. Ils habitent dans une villa avec piscine, et ils déboulent tous les soirs ! La chance de fou ! En plus, ils sont trop bien habillés, les filles sont très belles, et toujours élégantes. Les garçons sont des durs mais ils sont  doux à l’intérieur.

 

 

Ça fait du bien de se relaxer. Je suis chez moi, tranquille. J’adore mon petit apart, je l’ai décoré moi-même ! Vous l’auriez vu avant que j’emménage, vous auriez halluciné ! Tout était blanc. Il y avait un poteau en béton brut, en plein milieu de l’entrée. Quelle idée franchement ! Il paraît que si on l’enlève, tout s’écroule. Je l’ai gardé forcément. J’avais demandé à Ethan de le démolir, mais il a cassé sa massue sur la pierre. Heureusement finalement ; autrement, on aurait eu des ennuis. J’ai eu une idée gé-niale ! Je l’ai recouvert de plastique noir brillant, on dirait une colonne grecque, c’est su- per beau ! J’ai peint les murs en mauve, et j’ai caché le placard avec des rideaux orientaux. Il y a des petites perles dorées, j’adore cette couleur. C’est chaleureux comme ça.

 

 

Je voulais faire comme dans la maison de Céline Dion, elle a tout décoré comme en Egypte, elle s’est même mariée habillée en Cléopâtre. Qu’est-ce que je voudrais faire comme elle !

 

 

Pour le salon, je me suis lâchée : les murs et les sols sont en marbre. En faux marbre, je ne suis pas sortie de la cuisse de Rothschild ! J’ai trouvé du papier collant qui imite, c’est bluffant, on croirait que c’est du vrai. Tous les meubles sont gold, j’ai même trouvé un lavabo et des toilettes en or ! En faux, je me comprends ! J’ai l’impression de vivre dans un palais, et je suis la reine de cet endroit.

Ma pièce préférée c’est ma chambre. Tout est rose Barbie. Je voulais vivre comme elle, c’est mon idole vous savez. Et Ethan serait comme qui dirait Ken. J’ai trouvé une tête de lit en forme de cœur. Elle est en fourrure, et le couvre-lit aussi, j’ai disposé des petits coussins en léopard, pour donner une touche sauvage. Le lit est en bois blanc, pour que ça ressorte bien. Ethan le voulait en gold, mais je lui ai dit que ça ferait trop chargé. J’ai même une coiffeuse assortie à mon lit. J’y dispose tout mon maquillage, mes vernis à ongle, et mes bijoux.

 

Vous voyez le changement que j’ai apporté à ce pauvre petit appart insignifiant. Les gens n’ont pas de goût, que voulez-vous ! En plus, ils s’habillent n’importent comment. Après ils se plaignent d’être tristes et de vivre des vies de merde, tu m’étonnes ! C’est pourtant pas dur, d’être un peu classieux. C’est pas pour me vanter, mais moi, je sais choisir mes fringues. Quand les copines ont un doute, elles m’appellent tout de suite :

 

-       Allo Prisci ? J’ai un entretien d’embauche, qu’est-ce que je peux mettre avec mon tee-shirt panthère ?

 

Alors là j’y vais à fond :

 

-       Debo, avec un tee-shirt panthère, mets une jupe avec le même motif mais rouge et transparente, des bijoux gold, des boucles d’oreilles en strass, et surtout des Louboutins rouges avec douze centimètres de talon minimum.

 

-       T’es un chou Prisci, je vais tout déchirer !

 

Et bien ma copine Débo, elle l’a eu son job de secrétaire médicale. Le docteur était fou à ce qu’il paraît ! Elle m’a dit qu’il a fait l’interview, les yeux rivés sur ses jambes et son décolleté. Quand on est une belle femme, il faut y aller à fond. Comme je dis toujours, il faut montrer ses atouts. Un 100 D c’est difficile à cacher de toute façon. C’est Ethan qui m’a offert ça pour mon anniversaire. Je voulais du 100 E, mais il m’a dit que j’allais créer des émeutes.

Il est drôle mon chéri. Quand je l’ai rencontré, il s’habillait en noir, avec des chemises blanches. Je lui ai dit :

 

-       Ethan, je peux pas aller au concert de Kanye West avec un type habillé comme toi. Mets un peu de fantaisie !!

 

Maintenant, il met des baggies, des chaînes en or, et des baskets à cinq cents euros. Et surtout, il ne sort jamais sans ses lunettes de soleil oversize, celles que je lui ai offertes pour Noël.

 

-       Ethan, avec le style qu’on a, on est promis à un grand destin !

 

 Je ne m’étais pas trompée. Un jour, je vais au boulot - je suis auxiliaire de vie dans une maison de retraite ;  et, je me casse un talon ! La vraie poisse ! Des escarpins à six cents euros, j’étais verte ! Soudain, j’entends une voix qui m’appelle :

 

-       Priscilla, Priscilla !

 

Cette voix est très douce, elle semble venir de l’au-delà. Je lève la tête, et devinez ce que je vois ? La Vierge Marie ! Si, si je vous jure ! Elle est toute blanche, elle ne touche pas terre, et elle a un sourire, mais un sourire ! Elle a les bras ouverts, comme si elle voulait me serrer contre elle.

 

-       Priscilla, je t’ai choisie, parce que ton cœur est pur. Veux-tu m’aider ?

Bien sûr que je vais l’aider, je suis comme ça moi, on me demande de l’aide, et je suis là.

 

-       Bien sûr, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

 

-       Il y a de moins en moins de croyants dans ce pays. J’aimerais que tu portes la bonne parole, que tu dises que Dieu est Amour, et qu’Il est là pour tout le monde.

 

Ça ne va pas être facile, mais Priscilla est toujours là quand il faut !

 

 

-       Tu vas commencer par les gens autour de toi. Puis, tu élargiras le cercle. Je veux que tu ailles partout. Je sais que tu as ce potentiel en toi Priscilla.

 

-       Vous connaissez mon nom, Madame ?

 

-       Apelle moi « ma Mère ». Tu es ma fille Priscilla. Tu es spéciale. Tu es élue parmi toutes.

 

-       Vous savez, je ne connais pas tant de monde que ça, je travaille dans une maison de retraite, et je n’ai jamais quitté Châteauroux.

 

-       Tu iras de par le monde. Mais pour l’instant, concentre-toi sur ta ville, puis sur ta région, puis sur ton pays. Tout s’enchaînera. Tu as de grands pouvoirs Priscilla. Tu es exceptionnelle

 

Je suis restée avec Marie pendant une heure. Il n’y avait personne d’autre que nous dans la rue. C’était étonnant, d’habitude il y a toujours des passants, mais là, il n’y avait qu’elle et moi. Je ne peux pas vous raconter tout ce qu’elle m’a dit. C’est un secret, et il y a des choses que je me suis engagée à ne pas révéler. Avec moi c’est : « croix de bois, croix de fer », d’habitude je crache par terre, mais je n’ai pas osé. Elle est très impressionnante la Vierge vous savez.

 

Quand elle est partie, j’étais toute étourdie. En plus, j’étais en retard. Pas mal comme excuse :

 

-       Désolée, je parlais avec la Vierge Marie. On n’a pas vu passer l’heure. On tchatche, on tchatche, et quand on regarde sa montre, on se rend compte qu’on est super en retard !

 

Il fallait que je trouve quelque chose de plus réaliste.

 

-       Désolée, Madame Martin, j’ai cassé mon talon. Il a fallu que je rentre fissa à la maison, pour changer de chaussures. Je ne voulais pas prendre de risques, alors j’ai cherché une paire sans talons. Mais ça m’a pris du temps. Qu’est-ce qu’on peut accumuler comme souliers dans les placards ! J’ai eu un mal de chien à ….

 

-       Mademoiselle Dutot, vos histoires ne m’intéressent pas ! Vous êtes en retard, dépêchez-vous de vous mettre au travail. Madame Collard a toujours sa couche sale, et la toilette de l’étage 3, n’est pas commencée !

 

Madame Martin est une petite grosse rougeaude. On ne lui donne pas d’âge. Elle s’habille comme un homme, en treillis et chemise kaki. Je lui donnerais bien quelques conseils, mais elle ne m’aime pas, je le sens bien. Elle me prend pour une écervelée.

 

Il y a beaucoup de décès à l’endroit où je travaille, normal en même temps, la moyenne d’âge est de 85 ans. Madame Collard ne va pas tarder à passer l’arme à gauche comme on dit. Elle est au bout du rouleau.

 

 

-       Bonjour, Josette, comment ça va aujourd’hui ?

 

-       Maman, maman, je veux te voir ma petite maman !

 

Elle perd la boule la pauvre Josette.

 

-       Maman est là ma chérie, je vais te laver.

 

Je l’embrasse sur la joue, et je lui caresse les cheveux. Il faut leur parler doucement aux petits vieux, autrement ils s’énervent. Je la lave, et je lui mets une chemise de nuit propre.

 

-       Je t’ai apporté un cadeau ma fifille.

Je lui donne des babioles données par des commerçants du quartier. Je leur demande des lots pour mes petits vieux, ça leur fait plaisir, ils sont comme des gosses.

 

En rentrant à la maison, j’ai essayé de convertir Ethan.

 

-       Chéri, tu crois en Dieu ?

 

Ethan est surpris par ma question, mais c’est pour ça qu’il m’aime, j’arrive toujours à le surprendre.

 

-       En Dieu ? Ben oui pourquoi ? Regarde la croix que je porte, c’est pas une preuve ça ? Elle pèse assez lourd, je me nique les cervicales avec ça autour du cou.

 

-       Oui mais, tu crois que Dieu est Amour, et qu’Il est là pour tout le monde ?

 

 

-       Tu parles comme une bonne sœur ma parole !

 

-       Non, mais c’est important. Dieu est là pour nous aussi tu sais ?

 

 

-       Oui, oui, sûrement, mais il était où quand ma petite sœur a pris un coup de fusil parce que mon beau-père était bourré ?

 

-        Ça n’a rien à voir. Il a sûrement accueilli ta sœur au paradis. Il n’est pour rien dans l’accident.

 

 

-       Ouaih ben, il aurait peut-être pu la protéger un peu mieux non ?

 

-       Ecoute, Ethan, j’ai vu la Vierge Marie, l’autre jour, elle est apparue devant moi.

Mon pauvre Ethan fronce les sourcils sous sa casquette.

-       Sérieux ?

 

-       Oui. J’ai cassé mon talon, tu sais sur mes Louboutins à six cents euros, les rouges, j’étais verte …

 

 

-       Ok, et alors ?

 

-       Alors, j’ai vu la Vierge, comme je te vois.

 

 

-       Comment, tu sais que c’était elle ?

 

-       Elle était habillée en blanc, elle ne touchait pas terre, il y avait plein de lumière autour d’elle. Elle était si belle !

 

 

-       Et elle t’a dit comme ça, bonjour Prisci, je suis la Vierge.

 

-       Ben oui. Je vais l’aider Ethan, c’est la Vierge Marie, elle est venue me voir moi !

C’est pas rien quand même ! Elle aurait pu parler à d’autres ! Mais non, c’est Priscilla Dutot qu’elle a choisie. Il faut que je mérite cette décision.

 

-       Ethan, c’est pas des conneries, elle m’a dit que Dieu était là pour tout le monde, et qu’il faut que je le dise autour de moi.

 

Ethan est un gars gentil, il a fini par me croire, et m’accompagne aux restos du cœur quand j’ai encore un peu de temps pour les aider.

 

Pour mes amies, ça a été plus compliqué. Je me suis rendue compte qu’en dehors des fringues, rien n’avait de valeur pour elles.

 

 

-       Priscilla a vu la Vierge les filles ! Ben moi j’ai vu le petit Jésus, et ça fait un bout de temps déjà !!

 

Ces gourdes ricanaient en me regardant.

 

-       Déborah, ce n’est pas drôle. Ce que je veux vous dire, c’est que nous ne sommes pas seules. Quand on se croit abandonnée par tout le monde. Dieu est toujours là, il veille sur nous.

 

Une d’entre nous est tombée gravement malade. Nous l’aidions bien sûr, mais face à la douleur, nous sommes bien impuissants.

 

-       Tu sais Prisci. Tu avais raison, Il est là, avec moi, Il m’aide quand j’ai trop mal et que je suis découragée.

 

J’ai acheté des vierges en plastique dans une foire à tout. Un type avait dû faire un casse à Lourdes, il m’en a vendu cinq cents pour dix euros. Mes petits vieux les gardent dans leurs vieilles mains ridées. J’ai remarqué qu’à chaque fois qu’un d’eux ne se réveille pas, il a le sourire de ceux qui ont été accueillis au paradis. Je leur répète tous les jours que la Vierge Marie les attend, qu’elle leur a préparé un petit coin rien que pour eux. Qu’ils retrouveront tous leurs amis, et qu’ils n’auront plus de souci.

 

Mes collègues ont bien remarqué que je n’avais pas de problème à mon étage. Pas de cris, de crises d’angoisse de la part des pensionnaires. Je leur ai dit mon petit secret, depuis, plusieurs ont suivi mon exemple. Madame Martin a même dû organiser une messe le dimanche avec un prêtre qui vient spécialement. Elle ne croit toujours pas en Dieu, mais ça viendra, c’est pour ça qu’elle est toujours grincheuse, elle est malheureuse cette femme.

 

Les familles de nos pensionnaires nous font de la publicité, la liste d’attente pour s’inscrire chez nous s’est allongée. La direction générale m’a convoquée. Je m’étais habillée super classe pour l’occasion, vous imaginez bien. Je l’avais fait sobre pour une fois, robe courte en stretch noir, avec une tête de lion en strass brodée devant. Les yeux sont placés sur le bout des seins pour le côté sexy, boots à clous et bijoux argent. Rouge à lèvre carmin pour casser le côté strict. J’ai bien vu leur tête à ces pingouins quand ils m’ont vue entrer dans leur salle de conférence, les hommes appréciaient.

 

-       Mademoiselle Dutot, nous avons entendu parler de vos succès. Le nombre de nos résidents est en constante augmentation, et, grâce à vous, les demandes explosent. Nous projetons d’ouvrir une nouvelle maison. Nous avons besoin de vos conseils.

Ils m’ont écoutée religieusement si je peux dire. On a mis des posters de la Vierge partout. Mes préférés sont ceux qui s’allument. J’en ai même trouvé un qui clignote, ils font de belles choses maintenant. Tout est organisé autour de Marie et de l’amour qu’elle porte aux pauvres êtres humains qui sont si malheureux sur terre. Pour le reste de la déco, ça reste clair, ils y tiennent, c’est un peu dommage, mais bon…

 

Je devais faire encore plus. J’ai décidé de créer une communauté religieuse. Pas d’aubes tristes, pas de nonnes ni de curés. Nous sommes la congrégation de Clotilde qui était très élégante comme sainte, à ce qu’il paraît. Tout le monde peut venir avec nous, à condition de garder le « Staïle ». On est bien flashy quand on va dans les hôpitaux rendre visite aux mourants. Les malades sont contents, on met un peu de vie dans tout ce blanc. Au début, on a légèrement choqué l’Evêque. Mais quand il a su que j’avais vu la Vierge, respect. Elle avait prévu le coup, elle m’avait dit une phrase secrète que je devais répéter aux chefs des curés. Dès qu’ils l’entendent, ils s’agenouillent devant moi. Au début, ça surprend, je peux vous le dire, mais c’est pas désagréable.

 

Demain je rencontre le Pape François. Il faut que je trouve une tenue appropriée. C’est en Italie, il fera chaud. Je vais m’habiller avec une robe bustier corail, des escarpins assortis, du vernis et un maquillage de la même couleur. Avec mes cheveux noirs, ça va être superbe. Il va a-do-rer !

 

Illustration : The Thinking Doll

 

FB arielleffe

 

 

Profession : purificatrice

Je regarde mon jardin et je me sens particulièrement bien. J’ai fait un rêve bizarre, un homme marchait dans la campagne, il avait un chien et un bâton de marche. Il m’abordait et m’annonçait que j’étais un ange, pas plus pas moins ! Comme je ne le prenais pas au sérieux, il m’expliquait le plus simplement du monde les raisons qui faisaient qu’il était temps que je m’en rende compte, que j’avais une mission à accomplir sur la terre, et qu’il était là pour m’aider.

 

-       Rendu compte de quoi ? Je n’ai pas d’ailes dans le dos, pas de pouvoirs surnaturels, et de toute façon je ne crois pas à ces bêtises.

 

Il a semblé contrarié.

 

-       Tu n’as pas à croire ou ne pas croire, c’est un fait ! Comment t’appelles-tu ?

Cet illuminé me raconte que je suis un ange, mais il ne sait pas comment je m’appelle…

 

-       Arielle, je pensais que vous le saviez !

 

-       Bien sûr que je le sais. Mais tu es bien ignorante. Ariel est un ange, comme Raphaël. Je m’appelle Raphaël, et mon chien s’appelle Tobie. Nous devons travailler ensemble.

 

-       Ecoutez Raphaël, j’ai assez à faire comme ça, je n’ai pas besoin de missions supplémentaires. Ma préoccupation actuelle est de m’occuper de mes enfants et de pourvoir à nos besoins, c’est une occupation à plein temps, je vous assure !

 

-       Bien sûr, mais le temps est venu. Tu accomplis déjà beaucoup de choses sans le savoir. Connais-tu la signification de ton prénom ?

 

-       La gardienne de l’Autel je crois.

 

-       Oui c’est cela. Le Lion de Dieu aussi. Quel est ton signe astrologique ?

 

-       Lion mais ça ne veut rien dire.

 

-       Peut-être, peut-être. L’ange Ariel apparait aux gens dans un halo de lumière rose pâle. Les humains savent qu’il s’adresse à eux, quand ils aperçoivent cette teinte, ou quand ils voient des représentations de lion. La mission d’Ariel est de protéger la Terre et tous les êtres vivants qui la peuplent.

 

-       Pas mal comme mission, et moi qui pensait adhérer à un parti politique qui défendrait l’écologie !

 

-       Ce n’est pas un hasard.

 

-       Ecoute Raphaël, merci pour cette révélation. Les histoires d’anges gardiens, ce n’est pas trop mon truc. C’est très sympa, mais ce n’est pas quelques coïncidences qui font que j’y croirai. Des milliers de personnes s’appellent Ariel, ils seront peut-être plus motivés que moi.

 

-       C’est tout à fait vrai, mais tous ne sont pas comme toi. Tu ne peux rien faire contre. Je te laisse réfléchir. Nous nous reverrons, nous n’avons pas le choix. Tu verras c’est formidable.

 

Raphaël me sourit, il a un visage spécial, radieux, des cheveux bouclés. Il a un visage d’ange. Je rêve, c’est donc normal.

 

A mon réveil, le souvenir de mon nouvel ami est encore très présent. En ouvrant les volets, je me rends compte que de nouvelles fleurs sont encore apparues, c’est une explosion, de rose, rouge et mauve. Des merles ont élu domicile dans le laurier, ils doivent avoir des petits, il y a un bruit pas possible. J’ai vu un nid d’hirondelles sous le toit, et les chats du quartier semblent penser que mon carré de verdure fait partie de leur territoire. Depuis que j’habite dans cette maison, j’aurais pu adopter une dizaine de matous, ils semblent tous décidés à venir habiter chez moi. Si je me laissais faire, j’aurais aussi quelques chiens. A chaque fois que je me promène dans la campagne, je me retrouve avec un compagnon à quatre pattes sur mes talons. C’est vrai que je suis entourée de fleurs roses et d’animaux. C’est amusant. J’allume la radio :

-       Lion : belle journée en perspective. Restez près de la nature, c’est votre élément. Vos amis écouteront vos conseils avisés. Qu’on est bien à vos côtés !

Sympa cet horoscope ! J’ai bien fait de l’écouter, bon c’est un peu flippant aussi, j’ai l’impression d’entendre Raphaël me dire :

-       Tu vois bien que j’ai raison !

Je prends mon caddie et je pars au marché retrouver mes copains, le maraîcher, le boulanger et un ou deux clients qui viennent à la même heure que moi. On s’échange les potins, et des recettes de cuisine. Le stand de fruits et légumes est très coloré :

 

-       Le boulanger a perdu son chien, je préfère vous prévenir.

 

Ça ne fait pas longtemps que je viens sur cette place, pourtant j’ai déjà l’impression que tout le monde me connait, on me sert la main et le boulanger me tutoie et me fait même la bise ! Le papy que je rencontre chaque samedi est là aussi.

 

-       Vous êtes radieuse ! Je suis impressionné par votre élégance ! Le rose de votre pantalon et le noir de votre blouson se retrouvent sur votre écharpe et même sur votre caddie à roulettes, bravo !

 

C’est vrai que je n’ai pas fait attention, mais toutes les couleurs de ma tenue sont assorties, j’aime beaucoup le rose, j’ai pas mal de vêtements et d’accessoires de cette teinte… Je vous entends, vous, lecteur, ça n’a aucun rapport !!

 

Je fais le plein de végétaux comestibles, mon admirateur me donne la recette de la soupe glacée aux fanes de radis et me conseille d’acheter plutôt des kiwis jaunes qui sont plus sucrés que les verts.

Le boulanger m’accueille avec les yeux rougis.

 

-       Bonjour, tu es lumineuse. Ça me fait du bien de te voir.

 

Il me claque la bise. Lumineuse, hum.

 

-       J’ai perdu mon boxer de 12 ans, elle s’est couchée sur la pelouse hier soir, et elle est morte, c’est dur.

 

Je compatis, le pauvre il a l’air si malheureux !

 

-       Merci, tu vois rien que de t’en parler, je me sens déjà mieux.

 

Ce rêve m’a vraiment perturbée, j’ai l’impression que tout ce que m’a dit Raphaël se vérifie. Il faut que je chasse ces idioties de mon esprit.

 

Devant ma maison, je rencontre ma voisine.

 

-       Vous avez le temps ?

 

 

Bien sûr que j’ai le temps, elle n’a pas l’air bien.

 

-       Mon mari a la maladie de Parkinson, c’est insupportable. Il veut tout repeindre dans la maison, je le laisse faire. Il perd le moral quelquefois, je dois le soutenir, mais j’avoue que je n’ai pas toujours l’énergie de le faire.

 

Après une demi-heure de discussion sur le trottoir, elle a retrouvé le sourire, et arrive même à plaisanter.

 

J’ai pris du retard sur mon planning. Cet après-midi je voudrais aller me balader sur les sentiers de randonnées de la région. J’ai prévu une marche de trois heures avec pique-nique. Je prépare mon sac : le fromage de la fermière du marché accompagné de ma baguette tradition, une banane, et une petite bouteille d’eau. C’est parti ! Il y a de superbes paysages, j’ai besoin de respirer l’odeur de l’herbe et des fleurs des champs, de voir des vaches dans des prés bien verts. C’est mon côté proche de la nature, vous l’avez deviné. Beaucoup de gens sont comme moi, ça n’a aucun rapport je vous dis !

 

En marchant sur les chemins, je me retourne plusieurs fois. Et si je rencontrais Raphaël avec son chien et son bâton de randonneur ? Heureusement, pas d’ange à l’horizon. J’ai un peu peur de perdre la boule.

 

 

Je me sens bien après ma petite balade. Le soir, j’ai un mail d’une amie :

 

« Merci d’avoir pris de mes nouvelles, tu es un ange ! »

 

Aïe ! Ça continue ! Sur mon portable, j’ai deux messages que je n’ose pas lire jusqu’au bout :

 

« Bonjour mon ange »

 

« Tu es vraiment un ange »

 

Ça suffit !

 

 

Il faut que je me renseigne un peu, voyons ce qu’internet dit de ce soi-disant ange, voilà un site : 

 

« Dans le Livre de SalomonAriel est décrit comme un ange qui punit les démons. Dans des textes plus récents, le rôle d’Ariel est de soigner la nature et dans La Hiérarchie des Anges,  Ariel est appelé « Dieu de la Terre ».

Ariel fait partie des anges appelés les Vertus, ils inspirent les gens sur Terre, créent l’Art et inspirent les grandes découvertes scientifiques. Ariel est le patron des animaux sauvages. Certains chrétiens considèrent qu’Ariel est le saint patron des nouveaux départs. »

 

Le saint patron des nouveaux départs, je m’en serais bien passée de tous ces nouveaux départs que la vie m’a obligée à faire.

 

 

« Dieu donnerait à Ariel la tâche d’éduquer ceux qui ont calomnié leur prochain. »

 

C’est un sacré boulot ça ! Je ne vais pas chômer !

 

« Pour les punir, ils sont conduits devant Yaldabaoth et ses 49 démons. Ils sont fouettés violemment pendant onze mois et vingt-et-un jours. Ensuite, ils sont jetés dans des cours d’eau et des mers bouillonnants et brûlés pendant encore onze mois et vingt et un jours. »

 

Joli programme !

 

«Après cela, ils seront amenés dans l’Ordre du Milieu où les dirigeants les châtieront à nouveau pendant  onze mois et vingt et un jours. Ensuite, ils sont conduis devant la Vierge de la Lumière qui juge les vertueux et les pêcheurs. Ils sont plongés  dans une eau qui se transforme en feu purifiant. Ce jugement n’est donc pas une punition mais une purification»

 

Quel tissu de bêtises, comment est-ce que des gens sains d’esprit peuvent croire à des âneries pareilles ! Les pauvres, ça m’étonnerait que la Vierge de la Lumière en reçoive beaucoup, ils sont morts avant d’arriver jusqu’à elle.

 

-       Détrompe-toi, tout cela est symbolique. Ton travail est bien de purifier les personnes qui n’ont pas respecté la Terre et ses occupants. Tu dois leur enseigner la vertu.

 

C’est Raphaël qui a parlé, je ne sais pas comment il est entré, mais il est bien présent dans mon salon avec son chien que mon chat n’attaque même pas.

 

-       Il y a bien des façons d’amener les gens à changer leur comportement, il faut être patient, et expliquer inlassablement. Une fois que tu t’es intéressée à eux, que le mal qu’ils font est identifié et qu’ils n’ont pas suivi tes conseils, le processus se met en branle.

 

-       Tu plaisantes j’espère ! Je ne vais plus oser parler aux gens. De toute façon, je ne crois pas à ces fadaises.

 

Je dois avouer que quand même ça ne me déplairait pas de me venger de certaines personnes…

 

-       Il ne s’agit pas de vengeance mais de purification, et je suis chargé de t’aider dans cette tâche.

Il entend tout ce que je pense celui-là ! Il me sourit malicieusement…

 

-       Tu enseignes aux gens ce qu’il faut faire pour ne plus faire de mal, c’est ton métier je crois ? Tu vois, c’est encore un signe. Je suis le « médecin du ciel », je suis chargé de les guérir. Tu comprends ?

 

-       Je comprends, mais si je suis déjà un ange, le travail a peut-être commencé ?

 

-       Il a commencé en effet.

 

Il me tend une pile de journaux.  J’y découvre des gens qui ont croisé mon chemin. Des personnes qui avaient fait du mal autour d’eux, que j’avais conseillé, mis en garde ou combattus. Ils ont tous subis des accidents ou des blessures psychologiques très graves, qui font que le cours de leur vie a complètement changé.

 

Tiens mon ex ! Pas mal la purification qu’il a enduré, à mon avis il a compris la leçon. C’est sympa ce boulot finalement !

 

 

Pupuce

Je m’appelle Pupuce, et je vis avec Paulette. Je suis une chihuahua adorable. Quand je fais les courses avec Paulette, les gens se retournent sur moi.

 

-       Quel joli petit chien ! Il est minuscule ! Je peux le caresser ?

 

Je suis une star dans le quartier.

 

Un jour, je découvre un magazine tombé par terre, à côté du canapé. On y voit une jeune femme magnifique, blonde, avec des vêtements superbes, et, un chihuahua. Son chien est beaucoup moins beau que moi, mais il porte un collier en diamant, un charmant petit manteau, et sur certaines photos, il a des lunettes de soleil. Elle l’emmène partout, sur la plage, dans les restaurants, dans des soirées au milieu de gens très connus. Ils appellent ça des « people ». Et oui, je sais lire. Paulette me traîne partout, je regarde la télévision avec elle, je vais au cinéma. Le matin, elle n’a rien à faire de spécial, mais elle se lève à l’aube. Les vieux ça ne dort pas, c’est bien connu. Elle allume la télé au saut du lit. A force de regarder les émissions pour enfants, j’ai appris à lire. « A » comme dans « ananas », « B » comme dans « banane ». Heureusement que j’ai la lecture pour me changer les idées !

 

Je regarde Paulette qui ronfle la bouche ouverte sur le divan. Elle me paraît repoussante. Elle est vêtue d’une horrible jupe de laine grise d’où sortent des jambes couvertes de varices. Elle a un chemisier en rayonne avec des grandes fleurs violettes. Elle me dégoute. Je veux une maîtresse comme la jolie blonde sur le magazine. Je mérite une vie meilleure. Pourquoi est-ce que j’ai atterri chez cette vieille peau qui sent l’ail ?

 

Elle ouvre ses yeux chassieux.

 

-       Coucou ma Pupuce, tu regardes Paris Hilton sur Voici ? Tu as vu, elle a le même petit chien que moi. C’est peut-être ton cousin sur la photo. Viens ma fifille, vient donner un bisou à maman.

 

Elle me soulève. Je vois sa grosse tête permanentée et sa bouche baveuse s’approcher de mon visage. Je me mets à trembler de tout mon corps.

 

-       Tu trembles ma petite chérie ? Viens faire un câlin.

 

J’essaie de m’échapper, mais elle me retient avec ses grosses mains. Je finis par grogner pour qu’elle me fiche la paix.

 

-       Tu as mal quelque part ma puce ?

 

Oui, j’ai mal, de devoir rester avec toi, espèce de grosse truie !

Je décide de m’évader. Je ne peux plus rester dans cette maison, où tout est moche. Les poupées en coquillages côtoient les gondoles de Venise, et les castagnettes d’Andalousie. J’ai envie de vomir. Je profiterai des courses au marché pour me faufiler entre ses grosses jambes, et bye bye Paulette !

 

-       Allez, on sort Pupuce. Viens voir maman. Regarde, je t’ai acheté un sac pour aller promener.

 

Zut, ça va être dur de sauter de là-dedans, je vais me casser une patte. Paulette m’installe dans son sac pourri. Il est confortable, mais d’une laideur incroyable. Celui de Paris est en cuir, c’est un Vuitton fait spécialement pour son chien, un article unique ! J’ai appris qu’il s’appelle Tinkerbell -fée clochette. C’est quand même plus original que Pupuce.

 

On sort. Ma seule chance de pouvoir m’enfuir est de crapahuter sur l’étal du marchand de légumes.

 

-       Bonjour, Monsieur Dutôt,  elles sont belles vos poires, je vais en prendre deux s’il vous plaît.

 

Pendant que le bonhomme rougeaud choisit les fruits, je saute du sac, et je me retrouve dans les cerises à pédaler comme une imbécile.

 

-       Ben alors ma toute belle, tu es tombée ?

 

La voix de Paulette devient nasillarde dès qu’elle s’adresse à moi. Non je ne suis pas tombée, j’ai voulu me faire la malle !

 

-       Tu vas te faire mal mon pauvre amour.

 

Et zip ! Me voilà enfermée dans son maudit sac à chien.

 

Je vais faire la grève de la faim, comme ça, elle m’emmènera chez le vétérinaire, et je me sauverai. Il s’apercevra peut-être que je suis malheureuse, il pensera peut-être que je suis maltraitée.

 

Comme chaque soir, Dame Paulette arrive avec une gamelle remplie à ras bord d’un plat qui m’a l’air super appétissant. Par contre, ça n’est pas la super assiette de Tinkerbell, toute chromée, avec une couronne gravée dessus. La mienne est en plastoc marron. La grosse n’a décidément aucun goût. Je regarde Paulette d’un air très malheureux, et je ne bouge pas de mon coussin.

 

-       Ma Pupuce, tu ne viens pas manger ? Tu n’as pas faim ?

 

Elle me prend dans une main, et m’amène près de la nourriture. Ça sent très bon, mais je résiste. Je tourne la tête, et me remet à trembler. Ça marche toujours, elle prend peur.

 

-       Tu es malade ! Mon dieu, qu’est-ce que je vais faire ?

 

Elle décide d’attendre jusqu’au lendemain. Bien sûr je recommence le même manège. Je suis complètement affamée, mais je ne cèderai pas.

Elle appelle le vétérinaire qui doit venir à la maison, ce n’est pas ce que j’avais prévu. Je ne pourrai pas m’échapper, c’est la poisse ! Quand il me voit, il sort une grande seringue de sa sacoche, et me la fourre dans le gosier, je sens une pâte ignoble descendre le long de mon œsophage. Vous vous demandez sûrement comment je peux avoir une telle connaissance de mon appareil digestif. Et bien j’adore les émissions médicales, et je n’en rate aucune.

 

-       Voilà Madame Martin, cette pâte est très protéinée, elle va la nourrir jusqu’à demain. Je vous laisse, deux autres seringues, on ne sait jamais. Elle devrait se réalimenter normalement dans les heures qui viennent. Elle a dû mal digérer quelque chose. Ces chiens sont si petits que ça peut être dangereux s’ils sautent un repas.

 

Et l’imbécile s’en va. Pourtant je lui ai bien montré à quel point j’étais malheureuse. Je l’ai regardé avec mes grands yeux noirs, implorant de l’aide. J’ai même poussé des petits gémissements déchirants pour attirer son attention. Cet homme est sans cœur !

 

Le lendemain, je ne veux toujours rien manger. Cette fois-ci j’ai vraiment perdu l’appétit. Quand Paulette s’approche de moi avec sa seringue, je lui montre les dents. Quand elle insiste vers midi, je grogne. Et quand elle essaie de m’attraper vers 19 heures, je deviens féroce.

 

-       Mais ma bibiche, c’est moi, ta petite maman, viens ma chérie.

 

Elle se penche vers moi, et j’ai envie de lui sauter à la gorge. Je n’ai pas le temps de le faire. Paulette s’étale de tout son long sur le sol mouillé de la cuisine. Je ne vous ai pas dit, mais pour l’embêter encore plus, je me suis mise à faire pipi partout. La seringue s’est enfoncée dans son cou grassouillet, et elle agonise en me regardant. Sa bouche s’ouvre et se referme comme si elle était un gros poisson. Après quelques minutes, elle meurt.

 

Je suis restée trois semaines avec Paulette morte, affalée sur le carrelage de la cuisine. Au bout de vingt-quatre heures, il a bien fallu que je me nourrisse. Je suis trop petite pour monter sur les meubles. Je n’ai pas assez de force, pour ouvrir les placards. Paulette avait la jupe retroussée sur ses gros jambonneaux, ils étaient bien appétissants ma foi ! J’en ai mangé un la première semaine, un deuxième la suivante, puis j’ai attaqué les mollets.

 

Quand la police est arrivée, ils ont tout de suite compris ce qui s’était passé. Ils m’ont emmenée à la fourrière, et maintenant je suis dans le couloir de la mort. J’aimais trop le luxe, avant de partir j’écrirai en lettres de sang sur le mur de mon chenil : «Paris m’a tuer» !

 

 

 Illustration par Cindy's Here