A

L'Accident

Je m’appelle Jeanne, j’ai 30 ans et il m’est arrivé une drôle de chose pendant mon enfance. Quelque chose qui a bouleversé la vie de toute ma famille, on pourrait appeler ça un accident de la vie.

Marie ma mère, est fonctionnaire. Depuis qu’elle est  toute petite, elle a tout fait comme il fallait : elle a bien travaillé à l’école, a passé des diplômes, elle a trouvé un job sûr qui la met à l’abri des imprévus. Pour elle, pas d’angoisse du lendemain, quand elle voit tous ces gens à la télévision qui perdent leur emploi, qui ne peuvent plus payer les traites de leur maison, elle pense :

« J’ai fait le bon choix, je ne m’éclate pas tous les jours, mais au moins, je n’ai pas de soucis ! »

Elle s’est mariée avec un garçon de bonne famille, Pierre, mon père. Il est avocat et n’a pas de problèmes de fins de mois.

« Avec tous les divorces qu’il y a ma chérie, je ne suis pas prêt de manquer de clients ! »

Les dossiers s’amoncellent sur ses étagères, plus les dossiers sont gros, plus son portefeuille est garni.

Nous sommes deux, un garçon, Charles, et moi, Jeanne. Nous travaillons très bien à l’école et nous sommes des sportifs accomplis. Nous faisons tous les deux la fierté de nos parents.

« Excusez-nous d’arriver en retard pour le repas Belle-Maman, mais Jeanne a encore fait un podium  au concours de saut d’obstacle. Nous avons dû attendre la remise des médailles ! », dit ma mère rouge de plaisir, en me poussant  vers mes grands-parents.

« Très bien Jeanne, nous sommes fiers de toi ! Et toi Charles ? », dit le grand-père en se tournant vers le garçonnet. « Quels sont tes succès de la semaine ? »

Mon père répond à la place de mon frère :

« Il est le premier de sa classe comme d’habitude ! »

Quel joli tableau ! Quelle belle famille ! La route est toute tracée pour eux, aucun nuage à l’horizon, ils mènent leur vie sur les grands axes.

 

En rentrant, je m’’enferme dans ma chambre. Je me sens mal, angoissée. Je devrais être heureuse, j’ai eu la médaille d’or. Pourtant, la boule présente dans ma gorge semble grossir. Pour me calmer, il n’y a qu’une solution. Je vérifie que ma porte est bien fermée, mes parents discutent dans le salon, et Charles joue avec  Duvet, c’est un sphynx, un chat sans poil, un chat parfait qui ne fait pas de saleté sur les coussins du canapé.  Je sors un cutter de mon tiroir, relève ma manche, et m’entaille l’avant bras. La douleur provoque chez moi un soulagement immédiat, l’angoisse s’éloigne au fur et à mesure que le sang s’écoule. Je me scarifie depuis plusieurs mois déjà. Les marques strient mes avant bras, je suis obligée de porter des manches longues en permanence.

Personne ne s’est encore aperçu des coupures que je porte comme une maladie honteuse, je fais tout pour qu’on ne remarque rien. Je sais que je ne pourrai pas faire ça éternellement, mais je ne peux pas m’en empêcher. La petite scie est en action presque quotidiennement.

« Tu viens dîner Jeanne ? » appelle mon père.

J’arrive souriante, j’ai mis des mouchoirs en papier sur ma blessure, elle devrait cicatriser dans la nuit. Seule une marque rouge restera quelques temps, elle s’additionnera aux autres.

Pourtant je sais que cela doit cesser, je ne peux pas vivre comme ça, je sais que ce n’est pas normal. Je ne me suis jamais confiée à personne. Qui pourrait comprendre ? Je me demande parfois si je ne suis pas un peu folle.  J’essaie de vivre normalement, mais je n’y arrive pas, je veux montrer à mes parents que je suis à la hauteur, mais c’est tellement difficile, ils attendent tellement de moi.

Quelques années plus tôt, un événement qui pourrait apparaître sans beaucoup d’importance allait changer la vie de toute la famille, et la mienne en particulier, on pourrait parler d’accident. Mon père avait voulu que j’apprenne le piano, un professeur avait été engagé, il venait à la maison. Cet étudiant en musicologie avait été choisi presque par hasard, il avait mis une annonce sur un panneau du conservatoire, et mes parents l’avaient appelé. Ses diplômes avaient impressionnés mes parents. Une petite fille qui joue des Nocturnes de Chopin dans le salon, quel beau tableau !

« Votre fille a des mains de pianiste Monsieur Duverdier, elle a aussi l’oreille absolue, nous allons faire de grandes choses ! »

Tout à fait le genre d’argument que m’a famille avait envie d’entendre.

Les leçons de piano étaient vite devenues un enfer, le professeur ne supportait pas que je fasse une fausse note ou que je ne sois pas dans le rythme.

Il hurlait :

«Espèce de fainéante ! Tu as tout pour réussir ! Tu fais n’importe quoi ! »

Les notes dansaient sous mes yeux, le tabouret semblait trop loin de la partition, je ne voyais pas les petites boules noirs et blanches. En ouvrant le livre sur mes genoux, je me rendais compte qu’il y avait des bâtons qui parfois les reliaient entre elles. Mais il était impossible de les voir quand je jouais. Alors j’apprenais tout par cœur, des pages entières, et plus je progressais, plus les morceaux étaient longs à apprendre. Ce stratagème m’évitait  de prendre une pichenette sur la tempe. C’était extrêmement douloureux.  Pas le geste en lui-même, mais la répétition de ce geste, des dizaines de fois pendant l’heure. Devant les progrès de sa fille,  mon père  décida un jour que les leçons dureraient deux heures au lieu d’une, il était tellement content de l’enseignement du professeur !

Mon calvaire  dura quatre longues années. Un jour, le professeur de piano déménagea à l’autre bout du pays, et j’en fus débarrassée. Mais le mal était fait, je n’étais plus insouciante, j’avais toujours peur de mal faire. La pression était terrible, la voix du professeur de piano résonnait dans ma tête, la migraine me prenait.

 

Le lendemain du repas chez Mes grands-parents, j’ai dû passer une visite médicale. J’ai réussi à rester les bras couverts.  Le jour J, je porte donc un tee-shirt à manches longues. L’infirmière scolaire me fait lire des lettres sur un panneau situé au fond de la pièce. Je suis bien  incapable de lire quoi que ce soit, je réussis seulement à citer les derniers signes de la liste.

« Tu n’as pas amené tes lunettes Jeanne ? »

« Je n’en porte pas Madame ».

« C’est étonnant parce que tu es très myope. Je vais faire une lettre pour tes parents. Tu as déjà passé des visites médicales ? On ne t’a jamais rien dit ? »

«Non ».

Je n’ose pas dire que j’ai toujours appris les listes de lettres par cœur de peur de me faire disputer. Aujourd’hui, je n’ai pas pu le faire, je n’ai pas pu me rapprocher suffisamment du panneau.

« Et bien tu vas porter des lunettes ma belle ! Tu vas voir ça va te changer la vie ! »

Mon père est consterné :

« Ma fille avec des lunettes ! C’est impossible ! L’infirmière a dû se tromper, nous allons consulter un spécialiste. »

L’ophtalmologiste confirme le diagnostique, je suis belle et bien myope. Ma mère me console en sortant du cabinet.

« Ne t’inquiète pas, tu n’auras pas de « culs de bouteille » comme ta cousine Lise, ça va aller. » elle me tapote l’épaule, mais je vois bien que c’est elle qui se fait du souci. Nous passons une bonne heure à choisir la monture la moins laide. Mes bésicles me font une drôle de tête. Maman n’ose pas me regarder, elle est catastrophée.

Quel changement en effet! Enfin je peux voir les notes sur les partitions, enfin je vois les obstacles quand mon cheval s’approche au galop ! Je découvre le monde qui m’entoure, les aiguilles de la pendule, les feuilles sur les arbres.

Jamais plus je ne regarderai plus mes pieds pour éviter de me casser la figure. Je marche la tête haute !

Je suis tellement heureuse que j’annonce triomphante à mes parents :

« Papa, maman, je ne voyais rien, c’est pour ça que le professeur de piano me criait dessus et me battait !! »

Mes parents tombent des nues.

« Ton professeur de piano te battait ? »

En voyant la tête de mes parents, je me dis que j’ai peut-être parlé trop vite.

« Oui, enfin quand je ne voyais pas les notes ».

Je suis entrée en courant et ça  m’a donné chaud, toute excitée par la grande nouvelle, je ne me suis pas rendue compte qu’une de mes manches est relevée. Ma mère aperçoit les marques rouges sur mes bras.

« Mon Dieu, qui t’a fait ça ? Le professeur de piano ? Il est revenu ? »

Je m’effondre devant mes parents. J’explique que je me scarifie depuis un an déjà. Je pleure, je m’excuse, je tremble.

Mes parents sont effondrés. Le choix des montures paraît un bien petit problème comparé au cataclysme qui vient de se produire.Qu’ont-ils fait de travers ? Pourquoi est-ce que je ne me suis pas confiée à eux ?

Dans la famille modèle rien ne sera plus comme avant. Marie et Pierre se sont rendu compte qu’ils avaient négligé leur fille, eux qui pensaient être les parents parfaits d’enfants parfaits. Le grand axe qu’ils suivaient a été scié par un professeur de musique. Je suis allée voir un pédopsychiatre pendant plusieurs années, une thérapie familiale a été nécessaire. Qu’est-ce qui avait conduit mes parents a vouloir être aussi irréprochables, pourquoi la pression qu’ils exerçaient sur moi était-elle aussi forte ? Comment ne se sont-ils pas rendu compte du comportement sadique du professeur de piano ? Heureusement,  maintenant nous allons tous pouvoir mordre la vie à pleines dents. Ce n’était qu’un accident de la vie finalement.

Alice au pays des horreurs

  Mon amie Chantal est venue me rendre visite, elle va même rester à dormir à la maison. Je suis tellement contente ! Chantal est plus âgée que moi, c’est mon modèle, elle est très belle. Elle est blonde, alors que je suis brune, elle sait lire des livres, elle a des devoirs. J’ai hâte d’aller à la grande école comme elle, de savoir des choses, d’entrer dans le monde du savoir, dans le monde des grands.

« Je vais te lire une histoire ».

Chantal sort un grand livre de son sac. Sur la couverture, il y a une petite fille blonde avec un très joli visage. Elle a les cheveux longs et une robe d’un beau bleu. Par contre elle porte un tablier blanc, ce qui est assez étrange, est-elle femme de chambre ? Ce serait bizarre à son âge. Elle a de grosses jambes boudinées dans des collants blancs. J’adore les histoires, je m’installe à côté de Chantal et j’écoute  en regardant les images du livre.

C’est donc l’histoire d’Alice. Elle se repose au pied d’un arbre en compagnie de sa sœur, quand tout à coup elle décide de suivre un lapin avec une montre. Sa sœur lui a dit de ne pas bouger, et elle se met à courir après un lapin ! Elle est désobéissante, il va lui arriver des malheurs. Elle m’énerve déjà, je n’aime pas les gens qui cherchent les ennuis. En plus un lapin avec une montre, c’est impossible.

Alice arrive dans un pays inconnu. Elle ferait mieux de rebrousser chemin et de retrouver sa sœur, elles pourraient peut-être y retourner toutes les deux après. Elles étaient  dans un très joli jardin, à sa place j’y serais restée.

Le lapin tombe dans un puits, et  elle le suit ! Quelle inconsciente ! Elle va se blesser, c’est sûr. Sa chute est interminable, elle va s’écraser au fond du trou, plus personne ne pourra venir la sauver, quelle horreur ! En plus c’est une voleuse, elle prend des confitures qui se trouvent sur des étagères dans le puits, quelle mal élevée.

Après la confiture, que trouve-t-elle ? Une petite bouteille remplie d’un liquide inconnu. Il est écrit « buvez-moi », et cette idiote d’Alice boit ce qui est sans doute du poison. Elle cherche les ennuis je vous dis !

 Elle devient toute petite :

« Je le savais qu’il lui arriverait malheur », je suis sidérée par la bêtise de cette fille.

Quand elle trouve un gâteau marqué « mangez-moi », je me doute qu’elle ne va pas hésiter une seconde à l’engloutir.

Et voilà qu’elle se met à grandir, à grandir.

 C’est affreux, moi aussi je grandis, j’ai la plus haute taille de l’école, pourtant je suis parmi les plus jeunes. On demande tout le temps à mes parents :

« Jusqu’où va-t-elle aller ? « 

Ils me regardent d’un air amusé qui ne me fait pas rire,

« Arrête de grandir, tu vas toucher le plafond ! »

Et voilà que c’est ce qui arrive à Alice. Non seulement elle touche le plafond mais en plus elle ne peut plus sortir de la pièce, c’est épouvantable. Et si ça m’arrivait ? Je n’ai jamais vu personne d’aussi grand, même les adultes. Mais si ça m’arrivait à moi ? Tout le monde à l’air tellement étonné de me voir si grande.

« Quel âge a-t-elle ? 4 ans ? Mais c’est incroyable ! »

Ma mère annonce fièrement,

« Et oui, elle met du 8 ans ! »

« Du 8 ans ? Vous êtes sûre ? Le docteur trouve-t-il cela normal ? Elle va peut-être manquer de vitamines, ou se créer des hernies ».

« Non, elle est grande comme son père », répond ma mère qui ne dépasse pas 1.52 mètre.

Je n’écoute que distraitement Chantal et la suite de l’histoire, elle fait vraiment trop peur cette Alice ! Il y a aussi un chat méchant et un chapelier avec un couvre chef ridiculement grand.

Tout à coup, la reine entre en scène. Encore un personnage monstrueux, elle veut décapiter tout le monde, même Alice ! Chantal m’a expliqué ce que voulait dire décapiter, cette bonne femme est folle. Tous ces personnages sont des cartes à jouer, c’est joli, mais ils sont trop nombreux et ils ne tiennent pas debout.

 

Tout à coup, la porte de ma chambre s’ouvre brusquement. Chantal et moi sursautons de peur, que se passe-t-il, est-ce le chapelier fou, ou la reine qui veut nous décapiter ?

« Qu’est-ce que vous faites toutes les deux ? Arielle a l’air terrorisée. Qu’est-ce que vous lisez ? »

C’est ma nourrice, Mary, elle regarde Chantal avec des gros yeux :

« Alice au Pays des Merveilles ! Arielle est trop jeune pour entendre des histoires pareilles, et toi aussi Chantal. » 

Elle ferme le livre avec autorité, et l’envoie rejoindre les autres sur l’étagère. Chantal suit le livre des yeux complètement ahurie.

« La chambre n’est pas rangée en plus ! »

D’un claquement de doigts elle range les jouets dans le coffre, un autre claquement et les vêtements qui sont par terre rejoignent le placard avec les autres

« Voilà qui est fait ! Au lit toutes les deux, nous sommes invitées aux courses ce soir ! »

Chantal ne comprend pas vraiment ce qui se passe, mais elle n’ose rien dire. Si elle savait que Mary est arrivée chez nous avec son parapluie un jour de tempête, elle serait encore plus étonnée.

Nous nous endormons toutes les deux très vite, pressées d’aller à l’hippodrome avec Mary, ma gentille gouvernante britannique.

Les artichauts à la parpaïoun

 

Le frigo est vide, il faut que j’aille faire le plein de légumes. Direction le marché. Je voulais des radis, mais la saison est terminée. Sur l’étal de superbes artichauts me font de l’œil. Allez, j’en achète trois, on verra ce que je peux en faire !

 

En rentrant, je passe devant le bouquiniste, j’aime bien fouiller dans tous ces vieux livres. Tiens ! Un livre de cuisine, il date de 1822, c’est une vieille édition, j’adore. La couverture est en cuir, et les pages jaunies. Je vais peut-être trouver une recette originale pour mes artichauts.

 

Le Cuisinier royal ou l'art de faire la cuisine, la pâtisserie et tout ce qui concerne l'office pour toutes les fortunes, d’ André Viard,Barba.

 

De retour à la maison, j’ouvre mon tout nouveau livre, « Artichauts à la barigoule », ça a l’air pas mal, mais un peu compliqué, il va falloir que je simplifie un peu.

 

Il faut que je me renseigne sur la barigoule. Je vais aller voir, mon voisin, il a un très beau potager, et il collectionne les légumes oubliés.

 

-       Des barigoules, je n’en ai jamais cultivé, ils étaient très populaires jusqu’au milieu du 18 ème siècle.  Mais, attends, j’ai un champignon qui leur ressemble.

 

 

Il va fouiller dans une remise qui se trouve au fond de son jardin. Il revient avec un bocal où nagent d’étranges légumes.

 

-       Ce sont des parpaiouns. C’est un ami qui me les a donnés. C’est un beau cadeau que je te fais là, je ne les ai même pas goutés. Tu me diras ce que tu en penses.

 

Va pour les parpaiouns ! Le nom me plaît. Je vais faire des artichauts à la parpaioun.

 

Au bout d’une heure, mes artichauts sont cuits. Une délicieuse odeur emplit la maison. J’ai invité un  vieux copain à dîner. Il sort d’un jeûne de huit jours. C’est un adepte des médecines douces. Il aime purifier son corps de tous les pesticides et les hormones que l’on trouve dans la nourriture classique. Mes artichauts sont bios, mes champignons aussi. L’ensemble de la recette est peut-être un peu gras, mais j’ai tenté d’égoutter le mieux possible, pour qu’il n’y ait pas trop d’huile.

 

-       Hummm, tu as encore fait des merveilles ! Qu’est-ce que tu nous as préparé ?

 

-       C’est une recette ancienne avec un nom rigolo : « des artichauts à la parpaioun »

 

-       Je me demande où tu vas chercher tout ça ! Le nom me fait penser au Youncouncoun, le diamant du film de De Funès

 

 

-        Rien à voir. Mais ce sont quand même des champignons très rares, donc très précieux. Peut-être que je ne pourrai jamais en refaire. Le parpaioun n’est pratiquement plus cultivé.

 

Le plat est délicieux. Nous finissons nos assiettes et partons au salon déguster un petit Bourbon rond moulu au dernier moment, qui nous laissera le goût du café sans les désagréments de la caféine.

 

Mon fauteuil est très confortable et j’ai l’impression de m’enfoncer dans les coussins. Une impression de bien-être m’envahit. Mon ami parle d’extra-terrestres et de civilisations inconnues qui vivraient sur d’autres planètes et seraient beaucoup plus avancées que nous. C’est son sujet favori. Je ne crois pas vraiment à toutes ces foutaises, mais il est intéressant.

 

-       Des scientifiques pensent que pour communiquer avec d’autres mondes, il nous faudra apprendre le langage des cétacés. Mais il apparait grâce à de nombreux témoignages, que les extra-terrestres seraient déjà parmi nous. Ils ont l’apparence d’humains, et travaillent pour différents gouvernements, il y en aurait aux Etats-Unis, à des postes clés.

 

Alfi est passionné par ce sujet, il me semble qu’il va quand même un peu loin.

 

-       Tu sais mon vrai prénom est Alfihar, cela signifie, « L’hôte des Elfes ». Ma mission est d’être prêt à les accueillir. On compte sur moi. J’ai besoin d’aide, ils sont plus nombreux que tu ne le penses. Ils veulent s’installer sur la Terre.

 

J’ai un peu de mal à lui répondre, il est tard et je commence à être fatiguée.

 

-       Ils sont pacifiques, et veulent nous aider. Ils sont beaucoup plus avancés que nous. Ils viennent sur terre depuis déjà longtemps. Il y a des témoignages, des milliers de gens ont vu leurs soucoupes arriver et se déplacer à des vitesses fulgurantes. Très souvent ils déconnectent les radios des avions militaires pour éviter que l’armée ne les empêche de travailler.

 

-       Mais que veulent-ils ?

 

-       Ils nous observent. Ils ne nous feront jamais de mal, sauf si nous représentons un danger. Nous malmenons la Terre, une catastrophe écologique imminente pourrait le forcer à intervenir.

 

-       Mais comment sais-tu tout ça ?

 

Il s’approche de moi. Sa voix a changé, les contours de son corps sont imprécis.

 

-       J’ai le gène E.T. Ça veut dire qu’ils ont commencé à se mélanger à notre population. Je pense que tu l’as aussi.

 

-       Tu délires, ma famille est bretonne ! Pas extra-terrestre !

 

Sa voix ne me parvient plus de façon classique. Je ressens ce qu’il dit plus que je ne l’entends.

 

-       Ils sont là. Nous faisons partie de leur comité d’accueil. Viens avec moi.

 

Il me tend la main, et nous sortons dans le jardin. Un engin lumineux  est posé sur l’herbe. Je suis éblouie par les phares et je ne distingue pas grand-chose. Une femme s’avance vers moi, elle me fait monter dans le véhicule.

 

 

………………….

 

Je me réveille, je suis dans mon fauteuil. Alfie est parti. Il fait grand jour. Nous n’avons pas bu d’alcool hier soir, donc ce long sommeil n’est pas dû à un excès. La vaisselle est restée dans l’évier, l’odeur qui s’en dégage est assez répugnante. Je regarde l’heure 11 heures du matin ! Ce sont les champignons qui nous ont joué des tours j’en suis sûre. Je me sens barbouillée. Une bonne douche, une petite marche et tout va rentrer dans l’ordre. Dehors il fait beau, je me dirige vers les boutiques. Je vois le journal :

 

 

 

L’OVNI aperçu au-dessus de Sanvic il y a 10 jours, fait toujours couler beaucoup d’encre, nous recueillons les témoignages.

 

Illustration : http://www.recettes-hubert.com/

Aurais-je aimé être quelqu'un d'autre ?

Je me demande parfois quelle aurait pu être ma vie si j’avais été différente. Mes parents m’ont élevée du mieux qu’ils ont pu, mais ai-je tiré parti de tous mes atouts. Me suis-je assez battue contre l’adversité ? Ais-je commis des erreurs ?

Sans aucun doute. Je ne suis pas célèbre, je ne suis pas brillante, toujours un peu malade, mes deux conjoints m’ont quittée, mes enfants sont-ils assez épanouis, mes parents ont-ils été satisfaits de leur fille ?

 Aurais-je pu être quelqu’un d’autre ? Quelqu’un de mieux ?

Et si j’étais née ailleurs, dans un autre pays, sur un autre continent, qu’est-ce qui ce serait passé ?

Devant une telle question, la première réaction pourrait être, et si j’étais née dans un pays très pauvre, à l’autre bout du monde, que ce serait-il passé ?

Je serais née dans une famille pauvre, puisque mes parents ne faisaient pas partie d’une classe sociale élevée. Etant une fille, j’aurais démarré très mal mon existence. Souvent les filles sont considérées comme des êtres subalternes. Je ne serais peut-être pas allée à l’école, mon intelligence ne se serait peut-être pas développée aussi bien. Je serais peut-être morte d’une maladie infantile. Qui peut savoir ? Certaines personnes exceptionnelles sortent du lot et réussissent malgré l’adversité. Comment savoir si mon esprit aurait été assez combatif ? On m’aurait peut-être mariée à 12 ans avec un vieil homme qui m’aurait soustraite au monde. Je n’ai pas fait d’éclat en France, avec moins de moyens je me serais sûrement confondue dans le décor.

 

Quelle personne célèbre aurais-je aimé être ? Il n’y a que des noms d’homme qui me viennent à l’esprit : Hitchcock, Victor Hugo, George Braque ou Rimbaud. Aurais-je pu être un homme ? La réponse est évidemment non. Le  chromosome X de ma mère  est venu s’accoler au chromosome Y donné par mon père. Je suis donc une fille, qui a toujours été fière de sa féminité. Je me suis par contre rendu très vite compte qu’on espérait que je deviendrais infirmière et pas médecin, secrétaire et pas directrice ou PDG. Mes parents voulaient que je fasse des études, mais je surprenais parfois des conversations qui faisaient froid dans le dos :

« La fille de Bernadette ne fait rien à l’école ? Ce n’est pas grave, elle se mariera et elle aura des enfants. Ce serait plus embêtant si elle était un garçon. »

Ma mère ne travaillait plus, elle avait arrêté à ma naissance.

« Je voulais m’occuper de vous (ma sœur était née trois ans plus tard), ton père était marin, il n’était jamais là. Je ne me voyais pas vous confier à quelqu’un. Et puis quand il aurait été en congé, il aurait été tout seul ! Ce n’était pas possible. »

Pourtant elle avait toujours regretté son travail de serveuse. Elle rencontrait du monde, elle s’amusait, elle adorait le contact avec les gens. Elle était très appréciée dans son métier.

Il y a plus d’hommes célèbres que de femmes célèbres. Je me disais que je ferais des études et que j’iraisle plus loin possible.

J’ai réussi mon Brevet sans le passer, et je suis arrivée en seconde. J’ai vite vu que mes parents n’arrivaient plus à suivre. Au collège c’était déjà difficile, ils n’y étaient jamais allés, mais le lycée étaient pour eux un autre monde.

« Tu vas au grand lycée l’année prochaine. »

Mon niveau en math n’était pas terrible. Quand je ne comprenais pas quelque chose, personne à la maison ne pouvait m’expliquer. A l’école primaire j’avais commencé à décrocher, ma vue était basse et ma mère ne voulait pas imaginer que j’aie besoin de lunettes. De toute façon ça coutait trop cher. Ma sœur avait besoin d’un appareil dentaire, elle n’en a jamais eu pour la même raison.

En Français on peut se débrouiller si on ne voit pas au tableau, je lisais beaucoup, mais si on ne distingue pas un « –«   d’un « + «, on a des problèmes. J’ai donc fait un Bac littéraire. Les débouchés après un Bac philo-lettres-langues sont limités, j’ai fait des études d’anglais tout en travaillant comme surveillante. Le fait que j’aieun emploi rassurait mes parents, je gagnais ma vie.

« Tu ne vas pas faire des études jusqu’à 30 ans ? »

Question rituelle. Une de mes cousines faisait aussi des études à l’université, je lui ressemblais beaucoup et personne dans la famille ne savait où ça allait la mener. Je suivais sa trace.

Je suis allée un an en Irlande, j’ai réussi ma Maîtrise avec mention. Il fallait poursuivre à Paris, je n’avais pas assez d’argent, et j’étais épuisée par mes journées à rallonge. J’ai trouvé un travail de professeure d’anglais.

Quelle aurait été ma vie, si j’avais porté des lunettes plus tôt ? Si mes parents avaient eu plus d’argent, s’ils avaient fait des études ? J’aurais peut-être été moins motivée, et je n’aurais rien réussi. Je me serais mariée avec un homme qui aurait eu une bonne situation. J’aurais peut-être été heureuse, je me serais probablement ennuyée. Il serait peut-être parti en me laissant sans ressources.

J’ai mal au dos depuis l’âge de 12 ans. Ça me handicape dans la vie quotidienne, et ça a horripilé mes deux conjoints qui sont restés persuadés que j’exagérais mes douleurs.

Je m’étais inscrite pour faire de l’athlétisme. J’étais très grande, très mince, avec une très bonne détente, j’ai fait du saut en hauteur. Nous avons appris le Fosbury flop, je me présentais dos à la barre, et je m’enroulais naturellement, mon centre de gravité passait sous l’obstacle,  j’étais une des meilleures du collège. Maintenant rien que de voir des jeunes filles utiliser cette technique à la télévision, les douleurs  me reviennent immédiatement. Après un après-midi d’entraînement, mon dos était en feu. Je m’allongeais sur le canapé, incapable de faire quoi que ce soit. Il fallait une ou deux heures pour que ça passe, mais souvent il fallait attendre le lendemain.

 A 17 ans j’ai commencé la gymnastique corrective, je souffrais d’une scoliose, due à une jambe plus courte que l’autre. A 36 ans, un radiologue m’a dit que j’avais la colonne d’une vieille femme obèse. Toutes mes vertèbres étaient abimées. J’avais toujours fait du sport, porté une talonnette, suivi tous les conseils, pourtant il a fallu m’opérer d’une hernie discale, et j’ai toujours mal. Aurait-il pu en être autrement ? Sans le Fosbury Flop, mes douleurs lombaires auraient été moins importantes, mais ma jambe gauche n’aurait pas grandi plus. Le sport a peut-être limité les dégâts.

Quand à 49 ans j’ai fait un AVC, le sport m’a sans doute sauvé la vie. Je menais une vie saine, avec une bonne alimentation. Une  pilule contraceptive de troisième génération a fait monter anormalement le taux des triglycérides dans mon sang, un caillot s’est formé dans mon cerveau et a bloqué la circulation sanguine.

Depuis, je suis plus fatiguée, je fais des mini crises d’épilepsie, mais avec un traitement adapté, je vis tout à fait normalement.

Aurait-il pu en être autrement ? Oui, si je n’avais pas pris la pilule. Mais aucun autre contraceptif n’était possible. J’aurais peut-être eu une famille nombreuse, et ma santé en aurait sûrement pâti.

Mes conjoints m’ont reproché de trop m’occuper de mes enfants, et d’avoir une santé fragile. Ces deux hommes n’ont pas été des pères très attentifs. Ils ont toujours fait passer leur bien-être avant celui de leurs enfants. J’ai toujours pensé que le fait d’avoir des enfants représentait un engagement, et que l’on devait fairele maximum pour les élever du mieux possible. Les aider et les soutenir quand on le pouvait. Les conseiller et leur donner de bonnes bases pour affronter la vie. J’ai vécu avec des hommes qui pensaient que seule l’expérience pouvait forger le caractère d’un enfant. C’est sans doute vrai, mais pourquoi laisser ses enfants se débattre dans des difficultés si on peut faire autrement ? La vie dresse tellement d’obstacles devant nous, il vaut peut-être mieux les aider à s’armer pour les vaincre plutôt que les inquiéter inutilement.

Mes problèmes de santé ne sont pas si graves. Mon éducation chrétienne m’a appris qu’un couple devait se soutenir et s’épauler dans l’adversité. J’ai appliqué ce précepte quand les hommes de ma vie ont eu des soucis. Ils ne m’ont pas rendu la pareille. Si je n’avais eu aucun problème seraient-ils restés ? Probablement non. Cette éventualité est impossible de toute façon. Je n’aurais donc pas pu être une meilleure compagne.

Les enfants font toujours beaucoup de reproches à leur mère :

« Tu es trop ceci, pas assez cela. »

Une mère parfaite serait une mère très belle, toujours élégante, qui fait très bien la cuisine, une mère qui aide pour les devoirs, qui offre des cadeaux, qui est toujours disponible et gaie.

« Hum, est-ce possible ? »

 J’ai essayé de tendre vers cette perfection,  j’avoue que j’en suis loin. Quand on a travaillé toute la journée, qu’on a fait les courses et le ménage, on n’est pas très belle, ni très élégante. On n’est pas très patiente non plus, ni forcément gaie et disponible.

J’ai fait ce que j’ai pu, en gardant de la place pour ma vie de femme, ma vie sociale et amoureuse. Mes copines avaient souvent des mères intrusives, abusives qui jalousaient leurs filles, je ne voulais pas être comme elles. Cultiver mes passions, avoir des amies me semblait faire partie de l’éducation de mes enfants.

Aurais-je pu être une meilleure fille ? Mes parents ont toujours été satisfaits de moi, ils me le disaient :

« Tu ne nous causes aucun souci, tu as bien réussi, tu es belle, tu es grande. »

Quel passeport pour la vie ! Je me sentais forte ! Aimée ! Respectée !

Il paraît difficile d’être quelqu’un d’autre. Nous sommes le résultat d’une hérédité, d’une culture, et d’une éducation. Si on change un élément de notre vie, est-ce qu’elle change en mieux ? Rien n’est moins sûr.

Etre quelqu’un d’autre, ce serait forcément être quelqu’un de mieux. Est-ce que ça aurait été possible, je n’en suis pas persuadée. Ma vie n’est pas finie, je peux encore m’améliorer, être quelqu’un d’autre ? Non, être moi-même c’est déjà bien.