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Eglantine

Eglantine a décidé de ranger sa chambre. Le Printemps est là, ses affaires d’hiver ne vont plus lui servir à rien. Il est temps aussi de faire du tri, certains vêtements qu’elle n’aime plus pourront servir à d’autres. La vieille dame aime bien cette période de rangement, elle a l’impression de se nettoyer l’esprit, elle a coutume de dire,

« Quand les placard sont rangés, ton esprit est plus clair ! »

Sa fille, Caroline entre dans la pièce.

« Tiens, bonjour, je ne t’ai pas entendue entrer. Ça va ma chérie ? »

« ça va bien maman, je te remercie. Tiens voilà des cartons, tu pourras ranger tes affaires là dedans ».

« Merci mon cœur, tu as toujours de bonnes idées, ils vont bien me servir. »

Eglantine remplit les cartons avec ses pulls et ses grosses jupes en drap. Elle a déjà rempli trois ou quatre boîtes. Elle se retourne pour voir le travail accompli, mais, surprise, elles ont toutes disparu !

« Qu’est-ce qui se passe ? Je deviens folle ou quoi ? Ils sont passés où ces cartons ? »

Eglantine décide de ne plus quitter des yeux ses caisses, elle n’aime pas travailler pour rien !

Elle continue sa tâche. Les vestes maintenant. Les boîtes sont juste entre elle et le placard, elle peut les surveiller de près. Elle a une dizaine de gilets ! Il faut qu’elle arrête de tricoter, ça devient ridicule. Ce qui est dommage c’est que ses enfants et ses petits enfants ne veulent plus de vêtements de laine. Quand ils étaient petits, elle s’en donnait à cœur joie, elle faisait de tout, des robes, des chaussettes et même des manteaux. Ce temps est fini, maintenant elle tricote pour elle, le problème c’est qu’elle croule sous les vêtements.

Elle jette un coup d’œil sur les cartons. Incroyable ! Ils ont encore tous disparu ! La maison est hantée, ce n’est pas possible ! Elle ne veut pas perdre ses affaires !

Eglantine a une idée, elle va attacher les cartons avec une ficelle, comme ça, plus de problème ! Elle est contente de sa trouvaille.

Les chaussettes, les gants, les écharpes. Elle aimait bien tricoter des petits chaussons en laine pour ses enfants, après, ce fut le tour des gants, des écharpes et des bonnets. Ils grandissent trop vite. Puis les petits enfants, et voilà qu’ils sont déjà adolescents, le temps passe. Elle a fêté son trentième anniversaire, et voilà que le 85ème arrive, elle veut une deuxième vie ! Si elle pouvait être comme les chats avec leurs sept existences.

Son stratagème n’a pas marché, les cartons ont encore disparus !

« Caroline, viens voir, j’ai un souci ! »

Sa fille va encore lever les yeux au ciel, mais Eglantine a vraiment tout essayé, elle n’a plus de solutions.

« Caroline, les cartons disparaissent, je les remplis et quand je me retourne ils ne sont plus là ! Je les ai gardés devant moi, mais ils sont partis quand même. J’ai même essayé de les attacher, qu’est-ce qui se passe, tu y comprends quelque chose ? »

« Ne t’inquiète pas Maman, tes affaires ne sont pas perdues, continue ton rangement. Tu as bien avancé dis donc ! Le placard est presque vide ! Bravo ! »

Caroline lui parle parfois comme à une demeurée, c’est insupportable, il doit y avoir une explication pourtant. Quand sa fille était petite, c’est Eglantine qui commandait, maintenant elle a l’impression que les rôles sont inversés.

La vieille dame continue, mais le cœur n’y est plus, elle commence à avoir peur. Il y a encore quelques boîtes vides. Les polaires maintenant, c’est pratique cette matière, c’est moins joli que ses tricots mais ça sèche vite et c’est chaud. Elle va en garder une ou deux pour la belle saison, les soirées sont souvent fraîches. Il y en a des rouges, des bleues, un vrai arc en ciel ! Allez encore un carton de fermé, ça fait au moins trois de plus. Eglantine n’ose pas se retourner. Et s’ils avaient encore disparus ? Elle regarde doucement derrière, et quelle horreur ! Ils sont tous partis !

La vieille dame se met à trembler, c’est insupportable, qu’est-ce qui va disparaître encore ? Ses meubles ? Ses bibelots ? Elle a tellement de souvenirs dans cette pièce, des photos, des souvenirs de vacances, des cadeaux de ses enfants. Mon Dieu, sa fille, et si elle disparaissait elle aussi ?

« Caroline, Caroline, où es-tu ? »

La vieille dame crie, elle est au bord de l’escalier, elle est morte de peur.

Sa fille arrive en courant,

« Que se passe-t-il ? Tu es toute chamboulée ! »

« Tout disparaît Caroline, les cartons, les meubles vont partir, mes photos, et toi ma chérie, je ne veux pas que tu disparaisses ».

Eglantine est en pleurs, sa fille la prend dans ses bras.

« Ma pauvre maman, ne t’inquiète pas, c’est normal si tout disparait, nous déménageons, tu ne te rappelles pas ? On va vivre tous ensemble dans une plus grande maison ».

« Mais pourquoi est-ce que tu ne m’as rien dit ? »,

« Je te l’ai dit, mais tu as dû oublier, viens en bas, ne reste pas toute seule ici. Tu vas voir les enfants, ils aident bien ».

Au rez-de-chaussée tout le monde s’affaire, un camion emmène tous les cartons d’Eglantine.

La nouvelle maison est bien plus grande, la vieille dame vivra dans une aile de la demeure avec une aide qui pourra veiller sur elle. Sa chambre a été aménagée à l’identique. Eglantine arrive dans la pièce et s’assoit sur son fauteuil préféré,

« Bonjour Caroline, tu viens me rendre visite ? C’est gentil, ça fait longtemps que je ne t’ai pas vue ».

Elle est pas belle la vie ?

El Rico

Equateur

Un être singulier

J’ai rencontré Angélique il y a deux mois. C’est magique, elle est belle, gentille, intelligente, je ne pensais pas qu’une personne comme elle s’intéresserait à moi. Je ne suis pas très beau, je me trouve même très laid. Ma première femme me disait :

 

-       Il y a pire que toi !

 

Quand à ma mère, elle se contente de soupirer en me regardant d’un air désolé qui signifie :

 

-       Je n’ai pas pu faire mieux.

 

J’évite de me regarder dans les miroirs, et quand je suis obligé de le faire, dans les magasins par exemple, je ne me vois pas. J’écoute les commentaires du vendeur :

 

-       Ce pantalon vous va très bien, il faudrait une chemise un peu cintrée pour compléter le style citadin.

 

Je me retrouve en général avec une quantité de vêtements incroyable. J’achète des ensembles complets, cravates et chaussettes comprises.

 

Angélique semble vraiment amoureuse de moi, je sais qu’avec elle, ma vie va changer, tout va être mieux.

Mais un jour elle m’annonce qu’elle veut un enfant. Un enfant de moi ! Comment est-ce possible ? Un enfant qui me ressemblerait, c’est hors de question, il faudrait qu’il soit comme elle, ou complètement différent de nous deux.

 

Petit à petit, je m’habitue à cette idée de devenir père. Mes collègues me félicitent.

Finalement,  je suis content, mon frère a déjà deux enfants, je vais être comme lui, je vais devenir normal, enfin. Tout le monde fonde une famille, a un fils, une fille… Un fils ? C’est hors de question ! Il faut que ce soit une fille, je ne saurais pas m’occuper d’un garçon. Une fille, ce sera plus facile, elle ne sera pas comme moi. Il faut que notre famille soit différente de celle désastreuse de mes parents et leurs deux rejetons.

 

La grossesse n’est pas simple, il faut qu’Angélique reste allongée tout le temps. Ca ne pouvait pas bien se passer, c’était impossible. Je travaille et je travaille encore, il faut que je subvienne aux besoins de ma famille. MA famille. Je ne vais pas y arriver, je n’ai pas envie de toutes ces responsabilités. J’ai assez à faire avec moi. Je commence à en vouloir à Angélique. Nous étions si bien tous les deux. Je sens bien qu’elle n’est plus disponible, elle ne pense qu’au futur bébé, je ne compte plus. Que va-t-il se passer quand il va être là ?

 

Mes parents se sont séparés quand j’étais très jeune. Ils ont eu des enfants trop tôt. Mon père fuyait la maison, il avait des aventures. Ma mère l’a quitté, elle est partie avec son meilleur ami. Ce type m’a gâché ma jeunesse. Ce détraqué qui aimait trop les petits garçons, m’a détruit, j’avais onze ans. Personne ne m’a cru quand j’ai raconté ce que je vivais, et surtout pas mon père qui n’a rien fait pour m’aider.

 

Les années passent. Je fais semblant. J’ai deux enfants, une fille et …un garçon, il va avoir onze ans.

Il faut que je m’échappe de cette famille qui m’étouffe. J’ai peur de leur faire du mal. Je ne suis pas à la hauteur, je n’ai jamais été à la hauteur. Depuis quelques temps, je prépare mon départ, je mets de l’argent de côté, j’ai rencontré une jeune femme, elle a deux petits enfants. Je peux tout recommencer, je ne serai pas leur père, ce sera plus facile.

 

J’aspire à une vie normale, mais c’est impossible. Après une année de vie commune ma jeune amie, m’a fui. J’ai regretté d’avoir quitté Angélique, je lui ai fait savoir par un intermédiaire, je n’ai pas eu le courage de l’affronter, je savais qu’elle m’en voulait énormément. Elle a demandé le divorce. J’ai papillonné pendant quelques temps, mais impossible de me fixer, les femmes semblent ne pas vouloir de moi.

 

Depuis quelques temps j’ai trouvé la solution. J’ai acheté un lieu où je peux exercer mon travail. Il y a des bureaux, un photocopieur, des ordinateurs, mais si on y regarde de plus près, je l’ai aménagé comme un appartement. Il y a un canapé-lit, une cuisine et une douche. C’est là, mon vrai foyer. Je me suis remarié, je loue une maison avec ma nouvelle femme qui est adorable. Sa mère s’occupe beaucoup d’elle, je ne me sens pas coupable quand je m’absente. Elle a deux grands enfants dont le père s’occupe beaucoup. Je ne suis pas seul, j’ai quelqu’un à qui raconter mes problèmes, en société je peux dire :

 

-       Mon épouse et moi.

 

 

Je suis « normal ». Pourtant, je ne peux pas faire partie d’une famille, il faut que je sois seul et indépendant, responsable de moi et éventuellement de mes employés. J’embauche de préférence des stagiaires, c’est plus simple. Je vis au singulier, le pluriel n’est décidément pas pour moi.

 

Illustration : Zinci.Foto

Et si c'était vrai ?

Les femmes sont toutes les mêmes, elles se laissent séduire tellement facilement ! Un sourire, une porte que l’on tient pour les laisser passer, un compliment, et hop, elles sont dans vos bras ! Si on est un peu patient, elles arrivent même dans votre lit. Certaines peuvent vous accueillir dans leur maison  pendant quelques temps voire quelques années. Elles vous nourrissent, vous habillent, vous dorlotent, vous êtes comme un coq en pâte ! Les problèmes arrivent quand elles commencent à avoir besoin de vous :

 

 

-       J’ai mal à la tête.

 

-       Je n’ai plus d’argent.

 

 -       Je suis triste.

 

-       Où vas-tu ?

  

-       Tu ne m’aimes plus.

 

Là, il faut savoir être ferme, et prendre très vite la poudre d’escampette. Ma tactique c’est de rester gentleman jusqu’au bout, attentionné, gentil, et à la première remarque désagréable de sa part, oust, je prends mon balluchon et je lui fais porter le chapeau !

 

Je vis actuellement avec Numéro sept. Oui, je leur donne des numéros, ça me permet d’avoir des repères et de ne pas me tromper dans les prénoms, surtout quand j’ai plusieurs femmes en même temps. Je dis plusieurs, mais en fait, ce n’est jamais plus de deux, après ça devient vraiment compliqué. Dans le quotidien, je dis « ma chérie », « mon amour », et le tour est joué ! Elles sont contentes, et moi, tranquille. Je ne suis pas un coureur, et je suis sincèrement amoureux de chacune d’entre elles, mais je recherche le bonheur, La femme qui me rendra heureux vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, jusqu’à la fin de ma vie. Pour l’instant, je n’ai pas encore trouvé cette perle rare.

Numéro un me laissait faire tout ce que je voulais, je la trompais, faisais du sport tout le temps, bref, je vivais comme je l’entendais, mais je m’ennuyais un peu, elle n’était pas assez câline ; Numéro deux était très maternelle, mais elle voulait m’attirer dans son foyer, et me mettre sous un globe ; Numéro trois était sportive, je l’emmenais partout, elle me tenait compagnie, mais elle n’était pas très sexy, et sa conversation était limitée ; Numéro quatre était trop indépendante, je ne pouvais pas compter sur elle ; Numéro cinq faisait très mal la cuisine ; Numéro six était dépensière, elle voulait que je participe un peu trop aux frais du ménage, j’ai de grosses dépenses sur ma ligne de budget loisirs, je ne peux pas tout payer ! Avec Numéro sept je me sens bien, elle est gentille, et elle m’aime…

 

J’ouvre les yeux, le soleil passe entre les volets et un rayon vient  me caresser le visage. Je dormais ! Je me sens bizarre après ce rêve qui finalement ressemble plus à un cauchemar. Quel cynisme ! Je ne peux pas être aussi pourri ! J’aime ma femme, et je ne l’ai jamais trompée, je m’étais transformé en monstre !

Je me lève, Elisabeth est déjà debout, elle a préparé mon bol et mes tartines grillées, elle est adorable.

 

-       Bonjour mon amour, tu as bien dormi ?

 

Elle s’inquiète toujours de savoir comment je vais, si je suis bien, c’est la femme de ma vie.

 

-       J’ai fait un cauchemar terrible, je collectionnais les aventures, j’étais égoïste et insensible. Je ne me sens pas très bien, presque sali.

 

Elle m’embrasse sur le front.

 

 

-       Mon pauvre chéri.

 

Elle me verse du café.

 

-       Bois ton café bien chaud, ça va te faire du bien.

 

-       Tu es très élégante ma Betty ! Tu es tellement jolie !

 

-       Merci Mamour.

 

Son portable sonne, elle a reçu un message, elle le lit sans un mot, et un petit sourire se dessine sur son joli visage.

 

-       C’est une publicité, ils font moins 20 % dans mon magasin de fringues préféré.

 

-       On peut y aller cet après-midi si tu veux, j’adore te voir essayer de nouveaux vêtements.

 

-       Merci, tu es gentil mais je dois travailler, je pars un peu plus tôt, il faut que je m’avance.

 

Elisabeth reçoit souvent des messages publicitaires, elle est toujours très bien habillée et les vendeurs savent qu’elle se laissera tenter. Elle reçoit plusieurs annonces par jour ces temps-ci, ils exagèrent ! Elle part dans un nuage de senteurs fleuries, elle chantonne, elle est d’excellente humeur. Je tousse, j’ai encore un peu de mal à supporter les essences sophistiquées. J’ai de la chance qu’elle vive avec moi. Quand je l’ai connue, elle était encore mariée, elle avait eu des aventures, elle n’aimait plus son époux. Nous avions eu le coup de foudre, ça avait été un choc réciproque. Nous avons vécu quatre ans sans nuages malgré son divorce difficile et ses ennuis d’argent. J’ai tenu bon, et je l’ai soutenue dans les moments de découragement. Je serai toujours là pour elle. Elle aussi est très attentionnée, on m’a découvert un cancer du poumon il y a quelques mois. J’ai perdu mon emploi, je me remets lentement de mon opération, mais je m’en sors. Betty est très patiente. Hier, elle a voulu faire une grande balade en bord de mer. J’avais la tête qui tourne, et mes jambes sont encore faibles, mais j’ai tenu le coup, pour elle… J’ai bien vu qu’elle trouvait qu’il était trop tôt pour rentrer, elle semble tout de même agacée quelquefois, ça m’attriste, moi aussi je voudrais retrouver ma force d’avant, j’ai l’impression d’avoir vieilli d’un coup.

 

Je prends une douche, et j’ouvre l’armoire pour prendre un jean et le dernier pull qu’elle m’a tricoté, elle est gentille. Il est superbe, c’était pour mon anniversaire, je sens encore son parfum sur la laine. Zut, je me remets à tousser. Tiens le sac de voyage d’Elisabeth a disparu ! Elle a dû le ranger ailleurs. Je retourne me coiffer dans la salle de bain – mes cheveux repoussent enfin !- les affaires de toilettes de ma femme adorée ont disparu ! Que se passe-t-il ?

 

Mon téléphone vibre :

 

  Je suis désolée mais je ne suis pas heureuse, ce n’est pas de ta faute, j’ai

rencontré quelqu’un d’autre. Je pense que tu devrais te remettre à travailler, je

n’en peux plus de ces ennuis d’argent. J’ai besoin de vivre et de bouger. Il est plus jeune que toi.

 

Qu’est-ce que c’est que cette remarque ? Je ne peux pas travailler, je suis encore malade ! Elle a rencontré qui ?J’essaie de l’appeler, pas de réponse. Plus jeune ? Mais je ne suis pas si vieux !

 

 

Le cauchemar est devenu réalité !

 

Photographie par Stanislav Tsvirko

Et si j'étais un monument ?

Je suis une personne au physique particulier. Mes traits sont plutôt irréguliers, j’ai une démarche ondulante même zigzagante. Ne croyez pas que je le fasse exprès, j’ai essayé de me corriger, j’ai même pris des cours de danse et de maintien, mais il n’y a rien à faire. Si vous marchez à côté de moi, je vous bousculerai et je vous marcherai sur les pieds. J’aime m’habiller de façon assez excentrique. J’adore surprendre voire choquer. Je sais que mon entourage a du mal à comprendre que je sorte avec un bonnet péruvien sur la tête, des talons hauts,  un pantalon de jogging et une veste sans manches en fourrure. On me dit bizarre. Je sais que ma façon de me comporter a quelque chose d’inhabituel. La plupart des gens aiment se fondre dans la masse, ils ne veulent pas se faire remarquer. Avec moi, c’est raté ! Même quand on a essayé de me relooker, de m’habiller de façon « classique », j’entendais des gens faire des remarques sur mon passage :

 

-       C’est une anormale tu crois ?

 

 

-       Pourquoi est-ce qu’elle marche comme ça ?

 

Ma façon de vivre semble tout aussi incompréhensible.

 

-       Pourquoi est-ce qu’elle vit dans cette maison tordue ?

 

-       La couleur de la façade est curieuse !

 

-       Ça n’est ni jaune, ni vert… c’est … singulier.

 

Quand j’ai acheté ma maison, ça a été un coup de foudre, le chemin qui y menait était sinueux, tortueux. Je me suis immédiatement sentie chez moi ! La décoration que j’ai choisie, est vous vous en doutez baroque. J’aime les courbes et comme aucun mur de ma maison n’est droit, j’ai été servie ! J’ai créé des étagères qui épousent la forme des murs, des meubles en mousse qui collent aux plus grossières imperfections, et j’ai disposé des coussins multicolores partout. On doit parfois zigzaguer entre les objets, mais ça ne me gêne pas puisque chez moi c’est naturel ! Comme d’habitude les visiteurs trouvent tout cela curieux et insolite.

 

 

Je sais que ma façon de vivre est inhabituelle. Mon insertion dans la société n’est pas simple, je suis considérée comme une marginale. Pendant très longtemps j’ai été très peinée par l’attitude des gens à mon égard. Et puis un jour j’ai visité l’église Saint Joseph du Havre. Quel rapport entre ce lieu symétrique en béton, qui semble sorti d’un jeu de légo, et ma vie tordue ? Ce magnifique édifice est le dernier, mais aussi le premier que l’on voit en arrivant au Havre par la mer. Il a un faux air de l’Empire State Building de New York. Curieux me direz-vous pour une église ! Et oui ! Voilà bien le premier point commun que nous avons, une sorte « d’incongruité ».  Quand vous rentrez dans le bâtiment, vous êtes saisi par la beauté des vitraux, leurs couleurs magnifiques. L’intérieur est très lumineux et le soleil modifie l’atmosphère qui y règne tout au long de la journée. Les couleurs, voilà un autre lien qui nous unit. La rigueur semblait de mise quand j’étais à l’extérieur mais maintenant, c’est le côté artistique de cette église qui me frappe le plus. Si on s’approche des piliers ou des poutres en béton, on note une certaine imperfection, rien n’est vraiment lisse dans ce matériau. Le bois donne un côté très chaleureux, le bronze un côté précieux qui reste simple, on est dans la maison de Dieu, c’est un endroit chaleureux et imposant à la fois. Je prends un dépliant et je lis :

 

«  Les défauts de coffrage sont magnifiés. En sublimant l’imperfection, en confrontant le sable ordinaire à la finesse du bronze, Auguste Perret et son équipe cherchent plus qu’un effet esthétique ; ils donnent à imaginer, à travers la plage des matières, la latitude des intentions, rendant visible l’ordre mental du projet ». 

 

Et voilà ce que je cherche à faire à travers ma supposée originalité, je « magnifie » mes défauts, j’essaie de « sublimer » mes imperfections.

Depuis que j’ai accepté ma différence, je ne suis plus peinée par les quolibets, ils ne sont que des hommages à mon originalité. Je sais qu’on peut être gauche et distinguée. Je suis un être rare finalement. Dernièrement, j’ai envoyé des photos de ma maison à un magazine de décoration. Ils ont fait un article sur mon univers, j’ai même fait la couverture en posant sur mes tas de coussins, mes chaussettes aztèques au premier plan. Je vais lancer une ligne de tissus d’ameublement et mes meubles en mousse font un tabac. Il y a quelques temps j’ai même signé un autographe.

 

 http://guilleme.blogspot.fr/2011/04/eglise-st-josephh-le-havre.html

 

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Saint-Joseph_du_Havre

 

Photo de Jean-Luc Léopoldi : "Moubaraque"