C

La cabane

Quelle jolie petite famille ! Je suis mariée avec Pierre depuis quinze ans. Il est  médecin. Je m’appelle  Claire, et je  reste à la maison pour m’occuper de nos trois enfants : Jean, Luc et Blandine. Ils sont beaux, toujours bien habillés et bien coiffés. Ils se tiennent par la main pour aller à la messe. On est dimanche, les garçons portent des culottes courtes et des chaussettes blanches, Blandine, une petite robe avec un gros ruban, on dirait un paquet cadeau. Il y a un grand soleil. Tout le monde nous connaît. Chacun s’arrête pour dire bonjour au gentil docteur et à sa femme parfaite.

 

-       Qu’ils sont beaux ces enfants !

 

 

-       Et si bien élevés !

 

Tout le monde m’admire pour la bonne éducation que je donne à mes enfants.

 

Pierre est fier, il marche la tête haute dans l’église. C’est un très bel homme, sportif. Toutes les filles étaient amoureuses de lui au lycée, mais c’est moi qu’il a choisie, j’étais la plus jolie et j’étais issue d’une très bonne famille.

Nous avons une belle maison un peu à l’écart du village, il y a un très grand jardin. Tout au fond, cachée par les arbres, il y a une petite cabane. Nous avions acheté la maison en pensant que nos futurs enfants adoreraient jouer dans ce petit refuge. Nous ne nous sommes pas trompés, très vite, les garçons ont investi les lieux. Et puis un jour, Pierre a décidé qu’il allait l’aménager pour lui. Il en a fait une sorte de bureau, avec un canapé garni de coussins, pour lire, disait-il. Nous n’avions pas le droit d’y aller, c’était son royaume, personne n’avait le droit d’y pénétrer, il faisait même le ménage lui-même. Plusieurs fois par semaine, il y passait quelques heures, puis refermait la porte à clé. Une clé qu’il gardait toujours sur lui. Quand il en ressortait, il était détendu, presque enthousiaste, il disait qu’il s’était ressourcé. Il me racontait ses lectures.

 

 

Pierre a été fou de joie à la naissance de Blandine, une fille après deux garçons, c’était le « choix du roi », comme disent les gens. C’est une adorable petite fille avec de longs cheveux bouclés et de grands yeux bleus innocents. Elle ne me ressemble pas du tout, j’étais grande brune, ma mère me faisait couper les cheveux très courts, personne ne s’extasiait sur ma beauté.

 

En grandissant notre fille est devenue de plus en plus jolie, un mélange de pré-adolescente consciente de son effet sur les garçons et de grande naïveté. Désormais, quand nous allons à la messe, elle donne la main à son père, et je ferme le mini cortège que nous formons. De temps en temps elle me regarde en coin, elle savoure son triomphe : elle est bien la préférée !

 

Pendant que ma fille s’épanouit et devient de plus en plus femme, je me flétris, je vieillis. Pierre ne me regarde plus comme avant, nous sommes mariés depuis dix-sept années, le temps passe. Nos enfants ont maintenant seize, quatorze et douze ans. Ils me demandent moins d’attention et je dois trouver de l’occupation en m’intéressant aux bonnes œuvres et en donnant des cours de catéchisme. J’aimerais retrouver mon insouciance, et l’espoir que j’avais en une vie qui s’annonçait passionnante quand j’avais vingt ans. J’en ai quarante aujourd’hui, et je me regarde de moins en moins dans le miroir.

 

Un jour, Pierre a emmené Blandine dans sa cabane, je n’ai jamais eu cet honneur. La petite maison est entourée d’orties et de chardons. Il ne les enlève pas, il préfère laisser des obstacles naturels entre la porte d’entrée de son territoire secret et le reste de sa famille. J’ai su qu’elle y était allée parce que ces jambes étaient toutes griffées et recouvertes de piqures rouges et enflées. Elle m’a dit que son père l’avait soignée. Elle avait l’air gênée en me disant ça. Elle m’a déclaré qu’elle ne voulait plus aller dans la cabane.

 

-       Tu as beaucoup de chance que Papa t’emmène dans sa case.

 

C’est le nom que nous donnions à la petite maison, « la case ». J’étais contrariée qu’elle  me dise une chose pareille ! Elle avait la chance d’être avec son père, d’être jeune, d’être belle, d’avoir la vie devant elle, et elle ne voulait plus y aller ?

Les fois suivantes je me suis mise en colère.

 

 

Tous les soirs, après leur escapade dans la case, Pierre la prenait contre lui sur le canapé, en lisant son magazine favori, il lui caressait les cheveux, et mademoiselle n’était pas contente ? Moi, il ne me regardait même plus. Je finissais même par me refuser à lui, tellement j’étais consciente de son dégoût à mon égard. Tous les jours, il emmenait notre fille, un petit morceau de moi finalement,  à l’abri des regards, dans son antre entourée de piquants. Après quelques semaines, Blandine ne protestait même plus. Elle avait pris cet air détaché qui ne l’a plus jamais quitté depuis.

 

 

Le jour de ses quinze ans, elle est sortie en courant de la cabane, son père avait des bleus partout, elle l’avait frappé. Il l’a poursuivie jusque dans la maison, et j’ai dû m’interposer pour qu’il ne la tue pas. J’ai décidé d’éloigner Blandine de notre foyer, elle représentait une trop grande tentation pour mon mari, elle était trop jeune, trop belle, trop fraîche. Je suis sûre qu'elle le provoquait. Elle est partie en pension, elle préférait passer ses weekends là-bas, pour travailler disait-elle. Elle revenait de moins en moins souvent, et, un jour, elle n’a plus jamais voulu nous voir. Elle s’est mariée avec un jeune homme brillant, mais je sais que leur couple bat de l’aile, elle a un caractère si particulier ! Je sais qu’elle raconte des horreurs sur son père, elle est complètement mythomane, c’est triste. Après tout ce que nous avions fait pour elle, les études que nous lui avions payées, notre fille s’est révélée être une ingrate, et une déséquilibrée. Je ne m’en remettrai jamais.

 

 

 Illustration : "la cabane au fond du jardin" de a.otge

Le Cauchemar

Il est 7h15, je sors de la maison, mon cartable à la main. Je marche d’un bon pas vers la bouche du métro que je dois prendre pour me rendre au travail. Il fait beau, je me sens bien, je me sens légère, cette journée s’annonce on ne peut mieux. Il y a du monde sur le quai, mais aujourd’hui les gens sont très polis, et personne ne se bouscule pour monter dans la rame. Je trouve une place assise, miracle ! Les stations défilent, j’arrive à destination, et je me rends au lycée. Je suis d’excellente humeur, certains jours le poids des soucis alourdit mes mouvements, mais cette fois tout semble différent, je me sens sûre de moi. Je passe en salle des professeurs, où je salue tout le monde avec un large sourire, ma bonne humeur doit être très communicative parce que tout le monde me répond gentiment.

« Bonjour, ça va ? »

On se fait la bise, on se raconte les potins en buvant un dernier café avant d’aller rejoindre nos élèves.

La sonnerie retentit, c’est un bruit assez étrange qui fait plus penser à une alarme qui signalerait un danger, qu’à une indication du début des cours dans une école. Aujourd’hui, je ne sursaute pas, je suis même à deux doigts de trouver ce son agréable. Les élèves m’attendent dans la cour, je vais les chercher  et nous nous dirigeons vers la classe. La leçon se passe à merveille, les jeunes lèvent le doigt et participent, je rajoute des éléments dont je n’avais encore jamais parlé, je passe dans les rangs pour contrôler leur travail, chose que je ne peux jamais faire d’habitude à cause de la discipline.

Je me sens aérienne, j’aimerais tellement être comme ça au quotidien et ne pas sentir le fardeau des corvées à accomplir et des factures à payer. J’ai le cœur léger. Je vais en profiter pour aller voir la direction et reparler de quelques projets que j’aimerais réaliser. Je dois aussi passer à l’intendance pour demander si on peut acheter du matériel assez cher mais qui me semble indispensable pour enseigner de façon plus ludique ; nos élèves de lycée professionnel sont souvent en grande difficulté et il faut développer des trésors d’imagination pour pouvoir les intéresser.

La vie est belle.

L’après midi se passe comme la matinée, idéalement !

Pendant la dernière heure de cours,  le hasard fait que je baisse les yeux vers mes jambes, et je constate que je ne porte pas ma tenue favorite, le jean ! Mes jambes sont nues, mais ce qui est plus embêtant, mon ventre aussi est nu, ainsi que mes fesses, mon pubis, mes seins, bref, je suis complètement à poil .Comment est-ce possible ? Depuis combien de temps suis-je dans cet état ? Je commence à paniquer. Les ados présents dans la classe n’ont pas l’air de remarquer quoi que ce soit, ils travaillent sagement. Je ne peux pas rester dans la classe, il faut que je me cache, je tente de me dissimuler derrière le bureau, mais c’est mission impossible. Je mets un bras devant ma poitrine pour la cacher, mais même si elle n’est pas très opulente, on voit que je n’ai pas de vêtement !

Pourquoi est-ce que personne ne m’a rien dit ! Tout à coup un élève me regarde et éclate de rire, les autres lèvent les yeux, et c’est l’humiliation suprême, je quitte la salle en courant. Dans le couloir je rencontre plusieurs collègues qui se mettent tous à rire bruyamment en me montrant du doigt. Je m’échappe de cet enfer pour me retrouver dans la rue. Aucun moyen de me cacher, il faut que je rentre chez moi au plus vite. Réfléchissons : je ne peux pas aller à la maison à pieds, même en courant ça va me prendre trop de temps, et je risque de rencontrer beaucoup de monde. La seule solution est de prendre le métro. Arriver sur le quai totalement nue, ça va être horrible. Je pique un 100 mètres en pulvérisant tous mes records, en passant vite les gens ne me verront peut-être pas. Quelle horreur ! Je ne pourrai plus jamais retourner travailler, qu’est-ce que je vais devenir ? Je me retrouve dans la station, évidemment le train n’est pas arrivé, il faut attendre. Les usagers me regardent à la dérobée en pouffant. Je pourrais me faire arrêter pas la police pour exhibitionnisme. Tout à coup je prends une décision, j’ai passé ma journée dans cet état, je ne peux pas dire dans cette tenue, puisque j’ai laissé cet accessoire chez moi ce matin. Si personne ne m’a rien dit de toute la journée, je vais agir comme si tout était normal. En prétendant que je me promène nue en toute connaissance de cause, je deviens une militante de la nudité urbaine. Cette décision prise, je monte dans la rame et vais m’assoir près d’une dame. En face, deux hommes, ils me dévisagent, en fait c’est plutôt mon corps dans son entier qu’ils scrutent. Je leur souris comme si tout était normal, je suis morte de trouille, mais mon stratagème semble fonctionner, les deux voyageurs retournent à la lecture de leur journal. Le trajet me semble très très très long, je comprends mieux pourquoi je me sentais si légère ce matin, je n’avais pas d’entrave…Quelle idiote ! Je suis une imbécile, comment ai-je pu oublier de m’habiller, c’est incroyable, je suis étourdie mais là j’ai pété un plomb ! Des contrôleurs ! Surtout il faut que je reste zen, je tends mon billet tout sourire. Ils font leur travail sans réaction particulière.

Je sors de la station et je me mets à courir. Là encore les quolibets fusent. Je rentre enfin à la maison, j’enfile une robe de chambre. Le répondeur clignote, mon chef a laissé un message, il ne veut plus me voir au lycée. Quelques collègues me proposent leur aide et me conseille d’aller voir un médecin. Comment est-ce que j’ai pu tout gâcher à ce point, tout avait si bien commencé, je me sentais si à l’aise ! De toute la journée je n’ai pas senti la moindre réprobation des gens que j’ai rencontré, tout le monde était gentil et même prévenant, ils ont du me prendre pour une folle. Quand je pense à toutes les personnes que j’ai rencontrées sur mon chemin, je vais être obligée de changer de travail et même de ville ! Je ne pourrai pas vivre avec cette honte.

Un bruit strident retentit, la cloche du début des cours, non c’est autre chose. Je suis nue, encore ?!? Mais encore dans mon lit, la situation est donc normale. C’est le réveil qui sonne.

 C’était un cauchemar, la journée ne fait que commencer. Je prépare mes affaires avec soin, et je me regarde attentivement dans le miroir avant de sortir, je rajoute une écharpe autour de mon cou. Je marche d’un bon pas vers la bouche du métro que je dois prendre pour me rendre au travail. J’arrive au lycée, en salle des professeurs et tout le monde se met à rire !

« Alors, on se met à l’aise ? »

Je deviens rouge de honte. Je n’ose pas me regarder, pourtant j’ai vérifié dans le miroir, le cauchemar recommence, je sens que je vais m’évanouir. Mes collègues regardent mes pieds. Quand je baisse la tête je vois deux belles pantoufles rouges rubis avec de gros nœuds sur le dessus…

C'est qui le chef de famille ?

Je suis née fille dans les années 60. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Pour un enfant c’était plutôt bien, très bien même. Je considérais que les filles étaient plus belles que les garçons, elles avaient tous les droits : elles pouvaient avoir les cheveux courts ou longs, s’habiller avec toutes les couleurs, en robe ou en pantalon, elles pouvaient faire tous les sports et jouer avec tous les jeux. En comparaison les garçons étaient condamnés aux couleurs tristes, le vert foncé, le marron et le bleu marine. Ils étaient tous habillés pareil : pantalon et pull ou chemise. Ils avaient toujours les cheveux courts, même ceux qui avaient des super boucles brunes comme mon copain Éric, et si ils avaient les oreilles décollées ça virait à la catastrophe ! Les filles pouvaient travailler ou pas. Ma mère avait été serveuse avant de se marier, maintenant elle restait à la maison, s’occupait de ma sœur et moi, et buvait du café avec ses copines. L’été on allait à la plage. Mon père faisait un travail dur, il partait loin de la maison pendant des mois pour travailler sur un pétrolier. Ensuite, il passait des semaines à se reposer et ne voyait personne parce que ses copains travaillaient ou qu’il les avait perdus de vue. Les filles n’allaient pas à la guerre non plus, elles ne faisaient pas de service militaire. A la maison, nous étions souvent seules, sans mon père, c’est donc ma mère qui gérait le quotidien et l’intendance, c’est elle qui prenait les grandes décisions. Mon père semblait toujours complètement inadapté à la vie de famille, et à la vie à terre tout simplement.

                                               

Petit à petit je me suis pourtant rendue compte que cette suprématie supposée des filles n’était qu’un leurre.

 

Ma première déconvenue a eu lieu quand j’ai voulu faire du judo. Je voyais à la télévision des personnages en kimono se rouler par terre et se bagarrer en « pyjama ». Quelle chance ! Ils avaient le droit de faire tout ce qui était défendu, ils étaient même pieds nus.

 

-       Faire du judo ? Mais tu n’y penses pas ! C’est un sport de garçon !

 

Je voyais pourtant quelques filles sur le tatami.

 

-       Mais ce sont des garçons manqués ! Les danseuses sont quand même plus jolies ! Tu ne voudrais pas porter un beau tutu rose ?

 

Bien sûr que j’avais envie d’un beau costume de ballerine, mais je ne voyais pas où était la contradiction. Il a fallu que j’attende d’être adulte pour enfin réaliser mon rêve, et pouvoir faire des chutes en kimono blanc sur un gros tapis vert. Entre-temps je suis passée par deux cours de danse où je me suis fait humiliée à cause de ma grande taille et de ma carrure de nageuse est-allemande pas du tout féminine !

 

Pour les études, nouvelle déception. Mon père était mon premier admirateur et il semblait toujours très fier de moi. Pourtant un jour il m’a dit :

 

-       L’idéal pour toi serait de devenir secrétaire trilingue.

 

Ma mère a tout de suite renchéri :

 

-       Ou infirmière, il y a toujours du travail dans cette branche-là. Tu passes ton brevet et tu rentres à l’école.

 

Je voyais des secrétaires et des infirmières à la télévision. Et oui ! Encore la télévision ! Dans les familles d’ouvriers c’est une sacrée ouverture sur le monde ! Les secrétaires dans les films ou les séries étaient toujours en train de faire du café pour un patron bête et prétentieux qui leur faisait aussi prendre ses rendez-vous chez le coiffeur, ou mentir à sa femme quand il avait envie d’aller voir sa maîtresse. Quant aux infirmières, elles faisaient fantasmer des médecins qui les imaginaient nues sous leurs blouses et elles faisaient tout le sale boulot qu’ils ne voulaient pas faire. Comment mes parents pouvaient-ils me voir comme ces filles-là ? Moi je voulais être chef, je voulais être docteur ! Mes parents pensaient-ils que je n’en étais pas capable ?

 

Je me suis dit que je poursuivrais mes études le plus loin possible, et ils verraient bien  que j’étais capable de faire beaucoup mieux ! Nous regardions souvent des émissions littéraires (et oui toujours la télé !), et je trouvais que les gens les plus intelligents étaient les écrivains et les journalistes. Les scientifiques avaient toujours l’air un peu bornés. J’étais bonne en français et en langues, je me suis donc passionnée pour les livres. Malheureusement, je me suis vite rendue compte, que dans les sections littéraires, il n’y avait pratiquement que des filles. Pour faire un bon métier et gagner beaucoup d’argent, il fallait être bon en math. Autre déconvenue, les grandes écoles telles Science Po étaient beaucoup trop chères pour ma famille.

 

Je serais donc professeur d’anglais, ce qui n’était déjà pas si mal par rapport à ce que gagnait mon père.

 

-       C’est bien, tu pourras t’occuper de tes enfants, c’est un beau métier pour une femme.

 

Je fusillais ma mère du regard. Pourtant, je devais bien l’avouer, il est bien agréable de passer du temps avec sa famille, je me suis rendue compte que c’était un vrai luxe de passer toutes les vacances avec mes enfants.

 

Le plus gros désenchantement est arrivé dans ma vie de couple. Je vivais avec un étudiant en architecture qui n’avait pas du tout, mais alors pas du tout le temps de passer l’aspirateur ou de nettoyer les poussières. Un jour il m’a même dit :

 

-       Moi je ne suis pas comme toi, tu as arrêté tes études. Moi je dois finir mon diplôme !

 

J’étais sciée ! Je préparais ma maîtrise, je travaillais comme surveillante dans un collège à plein temps, et il considérait que j’avais « arrêté mes études » ! J’aurais dû fuir immédiatement. Pourtant je suis restée. En voyant les autres couples autour de moi, les schémas étaient tous plus ou moins les mêmes. Je pensais qu’il fallait faire des concessions, pourquoi en faire autant ? Je me pose encore la question. Plus tard, il a aussi considéré que je ne faisais pas un vrai métier et que j’étais toujours à la maison. Il fallait jongler entre les heures de cours, les préparations des leçons, les enfants à aller chercher à l’école, à la crèche, à la danse, au solfège, au judo (et oui ça a continué), et les réunions qui pouvaient se terminer à 20 heures passées. Tout cela en faisant le ménage, le repassage, les courses et la cuisine. Un jour, j’ai décidé de faire un planning avec les horaires de chacun, et les tâches ménagères que l’un ou l’autre pouvions faire. J’ai tracé deux colonnes, et nous avons déterminé ce que chacun « préférait » dans le travail domestique. Mon cher et tendre adorait (oui oui vous avez bien lu) passer l’aspirateur, et il pouvait éventuellement repasser ses chemises (que ses chemises bien entendu, je n’étais d’après lui pas très compétente dans ce domaine). Après trois semaines à vivre dans la crasse, une couche de poils de chat de deux centimètres couvrant notre moquette maronnâsse d’une couleur plus claire, j’ai craqué. Il faut dire qu’une de nos voisines est venue sonner à la porte. Elle a regardé l’état des sols de notre appartement, ensuite elle m’a regardé en fronçant les sourcils :

 

-       Non merci, je ne vais pas entrer, je n’ai pas trop le temps. Merci pour le sel, je vous le rends dans cinq minutes.

 

J’ai eu tellement honte que j’ai passé l’aspirateur illico presto.

 

Pour mon premier conjoint, la femme qui partageait sa vie devait être une esclave, qui tenait la maison et élevait les enfants à la perfection, faisait bien la cuisine, écoutait ses jérémiades diverses et variées sans l’ennuyer avec ses soucis triviaux et restait belle, sensuelle, prête à toutes les fantaisies sexuelles avec lui qui, détestant le sport, grossissait à vue d’œil ! Il fallait inviter ses amis, ce qui voulait dire faire les courses, la cuisine, servir à table, débarrasser et nettoyer, écouter des histoires de rebords de fenêtre trop bas et de coffrages ratés. Passionnant… Il m’a quittée, bon débarras !

Le deuxième, recherchait son double. Une femme qui pouvait faire tous les sports, sortir en talons et mini-jupe mais faire de la moto et marcher sur les galets en escarpins. Mais attention ! Il ne fallait pas dépasser le maître ! Pas question de nager plus vite que lui ou de pagayer plus longtemps ! Il faut savoir rester à sa place ! Il fallait aussi savoir s’extasier sur toutes ses prouesses « bricolistiques », par contre il trouvait tout à fait normal que vous inventiez toutes sortes de recettes pour ne pas réveiller ses phobies alimentaires. Monsieur était hypocondriaque, il risquait de mourir à chaque goutte de crème fraîche avalée ou à chaque rhume des foins, mais ne vous avisiez pas de tomber malade, vous étiez forcément une simulatrice !

 

Comment s’éloigner de tous ces modèles plus ou moins imposés ? Pourquoi se plier à tant de maltraitance, pourquoi considérer qu’il y a des activités d’homme et des activités de femme ? Aux hommes les alcools forts, la charcuterie et les épices, aux femmes le doux et le sucré. Aux femmes le rose et les perles, aux hommes le kaki et le sport.

 

Comment ne pas se méfier du sexe opposé, sommes-nous si opposés d’ailleurs ? Pourquoi n’aurais-je pas le droit de parler voiture, de boire de la bière et de faire du judo. Pourquoi mon fils devait-il subir les quolibets des assistantes maternelles de la crèche parce qu’il aimait jouer avec les jeux de sa sœur, et qu’il venait parfois à la garderie avec un sac à main rose garni de joyaux multicolores ? Arrêtons de dire « les hommes sont comme ça », ou « ce sont des trucs de femme », il y a des êtres humains, bons ou mauvais. Chacun doit être autonome financièrement et dans ses activités. Il ne faut pas se soumettre au diktat de son sexe, il n’y a pas de chef !

 

 

 

 

C'est ma fête

Coup de gueule

Marie monte avec difficulté dans l’autobus. Sa jambe est insensible et son genou tordu. Elle coince sa canne sous son bras mort et tente de s’agripper à la barre avec sa main valide. C’est difficile mais Marie ne s’avoue jamais vaincue, ne réussit-elle pas à faire un jogging tous les jours depuis quelques temps ? Elle ne court pas vite bien sûr, et ne part jamais seule, mais quelle victoire pour cette jeune femme de vingt ans !  Le bus redémarre avant même que Marie ne soit arrivée à sa place, elle se retient de tomber de justesse en prenant appui sur un des sièges. Le véhicule est bondé, elle arrive à atteindre la place réservée, un homme est assis, il la voit approcher mais ne bouge pas.

 

-       Excusez-moi Monsieur mais je suis handicapée.

 

« Handicapée», longtemps Marie s’est refusée à utiliser ce mot, mais il faut se rendre à l’évidence, elle est handicapée.

 

Il ne répond pas et ne bouge pas.

 

-       Monsieur, je dois m’assoir !

 

La voix de Marie est devenue plus forte et l’homme se lève à contre cœur, sans un mot. Elle peut enfin s’assoir, il était temps, il y a un virage et elle allait tomber.

C’est toujours la même chose, non seulement il faut vivre avec ses problèmes mais en plus il faut se battre pour faire respecter ses droits ! Marie récupère, ces voyages en bus la stressent et l’épuisent, mais elle veut essayer de tout faire comme avant. Avant… Tout à coup elle se rend compte que son arrêt n’est pas loin, il faut se relever et atteindre la porte sans tomber. L’homme de tout à l’heure la foudroie du regard, elle lui a fait perdre une place assise pour un laps de temps aussi court que ça ? Marie essaie de se frayer un chemin sans laisser tomber son sac à main et sa canne, avec une seule main, c’est galère ! Elle a demandé à quelqu’un d’appuyer sur le bouton d’arrêt, il faut juste que le chauffeur la voie et ne pense pas à une erreur. Il freine, encore une secousse à vous faire tomber ! Marie se rattrape, et continue sa progression. Elle est presque arrivée, encore quelques mètres. Soudain le bus redémarre, elle a mis trop de temps et le conducteur a perdu patience.

 

-       S’il vous plaît, je veux descendre, c’est mon arrêt !

 

Marie parle fort, mais le bus continue son chemin.

 

-       S’il vous plaît !

 

Il va falloir qu’elle revienne sur ses pas, elle qui a tant de mal à marcher ! L’autobus a parcouru au moins cinq cents mètres ! Marie se met à pleurer :

 

-       S’il vous plaît, je suis handicapée !

 

Deux fois ! Il a fallu qu’elle prononce ce mot deux fois sur un trajet de cinq arrêts, c’est humiliant à la fin. Les larmes sont essuyées, il y a pire qu’elle, il y a toujours pire. Elle est enfin arrivée et se dirige vers le restaurant.

 

 

Angèle est en retard, pourtant elle s’est levée de bonne heure, mais le téléphone n’a pas arrêté de sonner, et puis il y a eu la voisine qui avait reçu un paquet pour elle, trente minutes, perdues à écouter les commérages de cette vieille bique. Il faut hâter le pas mais Angèle s’essouffle vite depuis son accident, « accident » ! Pour elle ce ne sera jamais un accident, mais c’est comme ça qu’on en parle.   Ses poumons brûlent, pourtant elle ne marche pas si vite, elle vient même de se faire doubler par une mamie… Il ne faut pas s’énerver et ne pas être amère, elle aurait pu mourir comme tant d’autres jeunes filles, elle est en vie, et elle va se battre ! Le restaurant est en vue, le calvaire va prendre fin.

 

Bénédicte regarde les listes qu’elle écrit à longueur de journées :

 

 

-       Factures

-       Pain

-       Ménage

-       Linge

-       Resto

 

Il y a deux listes en cours, quelques mots sont barrés. La jeune femme ne veut rien oublier, mais ses idées s’embrouillent, elle oublie des choses, égare des papiers, mélange les heures. Quelquefois sa sœur et sa mère veulent l’aider :

 

-       J’égoutte la salade ? Hier je suis allée au marché il y avait des légumes magnifiques.

 

-       Tu l’as achetée la robe que tu aimais bien ? Il est où l’égouttoir ?

 

 

-       J’aime bien tes couverts à salade. Elle est où l’huile ? et le vinaigre ? Tu as du sel et du poivre ?

 

Bénédicte ne peut pas se concentrer sur sa tâche. Elle essaie de répondre à Julia, se rappeler de la robe qu’elle a vue dans quel magasin déjà… Et l’huile, elle est où … les paroles de sa sœur sont comme les balles d’une mitraillette, une torture savante qui ne laisse aucun répit à son esprit.

 

-       L’huile est dans le…, et le….

 

Zut ! Les mots ne sortent pas, il y a un blanc dans le cerveau de Bénédicte, impossible de se rappeler comment s’appellent ces objets qu’elle utilise tous les jours.

-       C’est où ? Dans le placard ? Lequel ? En haut ? En bas ?

 

Bénédicte essaie de rassembler ses pensées, l’avalanche de mots la déstabilise.

 

-       J’ai trouvé ! Heureusement que je n’ai pas attendu ta réponse ! Tu as vu hier …

 

Bénédicte n’écoute plus, elle entend les paroles de sa sœur mais ne comprend plus rien, elle n’arrive plus à répondre, il faut du calme, du silence, elle doit pouvoir se concentrer.

 

Il est bientôt midi. Bénédicte doit partir, elle doit rejoindre ses amies pour déjeuner. Elle se sent épuisée, elle a pris l’habitude de faire une sieste d’une demie-heure en début d’après-midi, c’est très efficace pour chasser le mal de tête et les bourdonnements d’oreilles qui s’amplifient au fil des heures. Elle se sent vieillir, pourtant elle n’a que vingt-cinq ans !

 

Josépha a pris sa voiture, pourvu qu’il y ait une place près du restaurant ! Sa jambe la fait toujours souffrir, des phlébites à répétition à dix-sept ans, personne ne veut y croire ! Sa jambe gonfle et rougit dès qu’elle marche plus de quelques mètres. Elle doit porter d’horribles bas de contention même en été, finis les shorts et les jupes ! Heureusement qu’elle habite à Paris et pas à Marseille, les jours de chaleur sont un calvaire pour cette jeune fille qui adorait prendre des bains de soleil. Elle n’a pas encore osé prendre sa carte d’handicapée pour pouvoir utiliser les places réservées, elle veut encore croire que tout va s’arranger. Après deux tours de pâtés de maison, un espace se libère, elle va payer une fortune en parcmètre, mais pas moyen de faire autrement.

 

Josépha est la dernière arrivée, elle aperçoit ses amies réunies à la meilleure table. Le restaurateur les connaît, elles se voient régulièrement pour parler de l’association qu’elles ont montée, il les aime bien ses « fifilles » :

 

-       Alors mes beautés, je vous ai préparé des gourmandises « light », je sais que vous faites attention à votre ligne, mais il faut savoir se faire plaisir. Alors…

Il ajuste ses lunettes et note avant que les convives n’aient le temps de parler.

 

-       Un potage carotte cumin, du merlu aux légumes du jardin et un sorbet à la mangue, ça vous va mes chéries ? Et un petit Saumur Champigny pour faire passer tout ça !

Elles sont toujours contentes de se voir, le repas a lieu une fois par mois. Elles ont toutes été victimes d’un médicament, ces nouvelles molécules qu’on qualifie de minipilules et que tout le monde pense sans danger.

 

Elles ne sont pas seules, à une table non loin de là, un groupe de médecins a été invité par un laboratoire pharmaceutique.

 

-       Je prendrai une coupe s’il vous plaît.

 

-       Moi aussi.

 

Ils sont huit. Une femme d’une trentaine d’année prend la parole :

 

-       Vous prenez ce que vous voulez sur la carte.

 

Ils parlent très forts et gênent Marie et ses amies.

 

-        Je viens d’acheter un appartement sur plan, les travaux ont pris du retard, il faut que tous les logements soient accessibles aux handicapés, Ils doivent même pouvoir accéder aux balcons ! Le surcoût était énorme, résultat ils ont supprimé toutes les terrasses ! C’est ridicule, ces règlementations sont idiotes, j’imagine le type en fauteuil roulant, il n’ira jamais sur un transat !

 

La plaisanterie fait beaucoup rire ses collègues.

 

-       Dans mon immeuble il fallait une rampe d’accès, esthétiquement c’est absolument horrible ! On a essayé de discuter avec l’archi, mais il n’y a rien eu de possible, c’est la loi.

 

-       Ces lois ne sont faites que pour embêter les gens, et les faire banquer.

 

-       Tout à fait d’accord !

 

-       Et au niveau de l’exercice de la médecine c’est pareil, vous avez vu tous ces scandales qui éclatent ?

 

-       Oui on ne peut plus vacciner ou donner un cachet sans prendre un luxe de précautions, tous ces gens qui ont des maladies dormantes qui se déclarent subitement, on nous en rend responsables !

 

-       Ne m’en parle pas ! Ça devient n’importe quoi, les patients se méfient de tout maintenant, ce qu’ils regardent à la télévision leur fait peur.

 

La femme du laboratoire prend la parole :

 

-       Il y a surtout des gens qui ont compris le filon et cherchent à se faire de l’argent sur le dos des labos. Quand je vois le nombre de tests qu’on fait avant de lancer un médicament ! Il nous faut des années pour sortir la moindre molécule.

 

Les filles se regardent consternées. Elles ne peuvent plus manger. L’arrogance de ces gens leur coupe l’appétit.

 

-       Vous partez en vacances cet été ?

 

-       N’oubliez pas que vous êtes tous invités par mon labo à notre congrès à Nice pour parler des contraceptifs oraux.

 

-       Oui bien sûr, vous faites toujours les choses très bien, l’hôtel était magnifique l’an dernier.

 

-       Et on a très bien mangé !

 

-       Oui la cuisine était très raffinée, le chef vient d’obtenir sa troisième étoile je crois.

 

-       Est-ce que vous avez invité Martin ? Il veut instaurer toute une batterie de tests pour rendre la pilule plus sûre.

 

La représentante du laboratoire pharmaceutique s’essuie les commissures des lèvres du coin de sa serviette :

 

-       On ne l’a pas invité, ces tests sont de la foutaise, toutes ces femmes qui fument et se laissent grossir, elles en auraient eu des problèmes de santé, même sans la pilule ! En plus tout ça coûterait une fortune à la sécu.

 

Avant que ses amies aient pu faire quoi que ce soit Marie s’est levée la canne à la main :

 

-       Bande de cons, vous vous dites médecins et vous tenez des propos pareils, je vais vous les faire bouffer vos entrées, et l’assiette avec !

 

Béné s’interpose :

 

-       Calme-toi Marie, ils ne méritent pas qu’on se rende encore plus malades.

 

-       Mais ce sont des meurtriers ! Vous allez en tuer et en estropier encore combien avant de vous rendre compte ? Vous n’êtes que des porcs !

 

Le groupe de médecins regarde les quatre jeunes femmes sans comprendre.

 

-       Calmez-vous, mademoiselle.

 

Une des invitées du labo dit en aparté :

 

-       Elle a bu regarde, elle ne tient pas debout…

 

Marie a entendu, elle se rue sur la femme et lui vide son assiette sur la tête.  

-       C’est à cause de gens comme vous que je ne tiens plus debout ! Et vous osez me faire des remarques ?

Ses amies décident d’être solidaires. Angèle renverse les verres, le champagne se répand sur la nappe et les vêtements de marque des médecins.

-       Elles sont complètement folles !

Bénédicte hurle :

 

-       Sortez d’ici ! On ne veut pas voir vos faces d’idiots incompétents dans notre restaurant ! Rien n’a changé depuis Molière !

 

Josepha fait du théâtre, elle poursuit les huit scientifiques qui se dirigent vers la porte:

 

-       « Le médecin malgré lui », « Acte III scène première » :

 

Je trouve que c’est le métier le meilleur de tous : car soit qu’on fasse bien, ou soit qu’on fasse mal, on est toujours payé de même sorte. La méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos : et nous taillons, comme il nous plaît, sur l’étoffe où nous travaillons. Un cordonnier en faisant des souliers, ne saurait gâter un morceau de cuir, qu’il n’en paye les pots cassés : mais ici, l’on peut gâter un homme sans, qu’il en coûte rien. Les bévues ne sont point pour nous : et c’est toujours, la faute de celui qui meurt. Enfin le bon de cette profession, est qu’il y a parmi les morts, une honnêteté, une discrétion la plus grande du monde : jamais on n’en voit se plaindre du médecin qui l’a tué.

 

Elle a crié la fin de sa tirade dans la rue, les gens se retournent mais continuent leur chemin comme si rien ne s’était passé.

 

Illustration : http://diablesse280568.centerblog.net/

Le crabe vert

Cette histoire se passe en Afrique. C’est l’histoire d’un devin à qui il est arrivé une drôle de mésaventure.

 

Il marchait dans la brousse à la recherche de plantes qui pourraient l’aider à rendre ses visions plus nettes. Ali, puisque c’est son nom, est né avec le don de voir ce qui va se passer dans le futur. Il a remarqué qu’après l’absorption de certaines tisanes, ses prédictions venaient plus aisément. Il marchait donc un peu à l’écart des chemins empruntés, quand son pied heurta quelque chose. Il s’agissait d’un crabe vert !

 

Ali se demanda ce qu’il faisait là ! La mer était bien loin d’ici ! A l’aide de son bâton, le devin donna de petits coups sur le crustacé, il  bougeait encore. Quel mystère, il était impossible qu’un tel animal ait pu arriver jusque-là. Sa couleur était étrange aussi, un vert presque fluorescent.

 

Etait-ce un signe du destin ? Est-ce qu’un être magique avait déposé cette créature sur le chemin d’Ali ? Si une sorcière avait fait cela, c’est qu’elle voulait que notre devin fasse quelque chose de ce crabe. Mais quoi ?

 

Ali rentra chez lui. Il avait faim, il décida de faire une soupe de crabe. De toute façon l’animal allait mourir. Il le fit cuire avec des aromates connus de lui seul. La soupe sentait merveilleusement bon. Ali se servit un bon bol de potage, avec une carotte crue censée lui donner des vitamines qui fortifieraient ses pouvoirs. Mais, surprise, il était infect ! Il jeta la soupe devant sa maison, un peu dépité.

 

Le lendemain, un Géranium vert avait poussé. Sept jours durant la plante poussa, poussa, poussa. Cela devint un géranium géant ! Les habitants du village venaient les uns après les autres voir cette curiosité. Les gens parlaient :

-       Quelle drôle de couleur !

-       Quelle taille immense !

-       Quelle jolie fleur !

Un nuage arriva dans le ciel. Quelqu’un demanda :

-       Vous croyez qu’il va pleuvoir bientôt ?

A la surprise de tout le monde, le géranium vert répondit :

-       Il pleuvra dans 10 jours exactement, et ce pour une durée de 48 heures.

Les habitants reculèrent.

-        Une plante qui parle !!!

Le devin se concentra et ne vit pas de pluie. Il préféra se taire et attendit comme tout le monde. 10 jours après, il se mit à pleuvoir pour une durée de 48 heures. La plante avait dit vrai.

Les habitants prirent l’habitude de venir voir la plante quand ils avaient une question à poser sur leur futur. Ali essaya bien de les convaincre que ses prédictions à lui étaient de meilleure qualité, qu’on ne pouvait pas faire confiance à une plante. Peine perdue.

Ce qui inquiétait beaucoup Ali c’est  qu’il ne voyait plus grand ‘chose. Même avec l’aide de ses plantes trouvées dans la forêt, les visions étaient de moins en moins nettes, et il devait se rendre à l’évidence, le Géranium était meilleur devin que lui. Ali était un homme bon, mais la jalousie l’envahit, les villageois amenaient des offrandes à la plante alors que notre ami n’avait plus rien à manger.

 

Une nuit, Ali prit une hache, et scia la base du magnifique géranium vert. Celui-ci poussa un cri déchirant.   Les villageois accoururent et comprirent immédiatement ce qui s’était passé. Ils arrachèrent la hache des mains de notre devin déchu, et le découpèrent en petits morceaux.

 

Ali se réveilla en sursaut. Il s’était endormi au pied d’un arbre, après avoir bu une tisane de sa composition.

Moralité : évitez de consommer des plantes qui améliorent les visions, elles peuvent vous faire vivre des expériences très désagréables !

 

The Cure

 Je range les chaussures dans la cave. Il y a un tel bazar, il faut faire du tri, quand tout est rangé on y voit plus clair, et en ce moment ma vie est sans dessus dessous, j’ai perdu mes repères.

Soudain, des bruits me parviennent. Impossible de savoir ce que c’est, le son est complètement étouffé. Je sors dans le jardin. C’est de la musique, elle est étrange, on dirait une cérémonie barbare, j’en ai la chair de poule.

Ça a l’air de venir de ma maison. Mon fils ou ma fille seraient-ils rentrés sans prévenir ? Le son est trop fort, ils sont devenus complètement fous !

La musique vient bien de l’intérieur de la maison, le rythme est tellement lancinant que j’en ai les jambes qui tremblent. Je sens que je vais tomber. C’est à l’étage, aucun doute là-dessus.

 En haut de l’escalier, je m’aperçois qu’il n’y a personne dans les chambres. J’ai mal au cœur, j’ai des fourmis dans les bras, je sens que je vais m’évanouir, j’ai peur. J’entends des bruits de pas au dessus de ma tête. Ils sont plusieurs, que se passe-t-il, mes enfants font-ils une fête ? Comment est-ce que tout ce monde est entré, pourquoi sont-ils montés là haut, il n’y a que le grenier et personne n’y va jamais !

J’attrape l’escabeau, j’ouvre la trappe. Incrédule, je vois des pieds chaussés de boots noires, des pantalons noirs, des visages blancs avec des bouches rouges sang, des cheveux noirs de geai. La musique me happe :

 

Je me hisse sur le plancher, et Robert Smith le chanteur des Cure est là, il commence à chanter de sa belle voix grave :

A hand in my mouth
A life spills into the flowers
We all look so perfect
As we all fall down
In an electric glare
The old man cracks with age
She found his last picture
In the ashes of the fire
An image of the queen
Echoes round the sweating bed
Sour yellow sounds inside my head
In books 
And films
And in life
And in heaven
The sound of slaughter
As your body turns

But it's too late
But it's too late

One more day like today and I'll kill you
A desire for flesh
And real blood
I'll watch you drown in the shower
Pushing my life through your open eyes

I must fight this sickness
Find a cure
I must fight this sickness

Je chante avec lui, je deviens Robert Smith. La rupture est consommée, l’homme que j’aimais plus que tout m’a quittée, nous ne reviendrons jamais en arrière. J’ai mal à la tête, elle va éclater. Après six ans de vie commune, tu m’as quittée, j’ai des envies de meurtre, de massacre. Encore un jour comme celui-là et je vais te tuer, j’ai envie de chair fraîche, de véritable sang. je veux te voir te noyer dans la douche, expulser ma vie par tes yeux.

Je dois combattre cette maladie, trouver un remède.

But it's too late
But it's too late

Il est beaucoup trop tard.

Je me sens vide, j’ai froid. La musique me porte et m’emporte, elle me chérit comme une mère.

Le groupe joue les première notes de Plainsong

 

 “I think it's dark and it looks like rain," you said
“And the wind is blowing like it's the end of the world," you said
"And it's so cold it's like the cold if you were dead," and then you smiled for a second.

"I think I'm old and I'm feeling the pain," you said,
"And it's all running out like it's the end of the world," you said
"And it's so cold it's like the cold if you were dead," and then you smiled for a second.

Sometimes you make me feel like I'm living at the edge of the world, like I'm living at the edge of the world.
"It's just the way I smile," you said

Je me sens morte, à la limite entre la vie et la mort, à la lisière du monde. Pourtant je vis, et j’ai envie de recommencer, de prendre un nouveau départ.

Je descends du grenier, je me sens mieux. Je suis partie très loin, à la limite du monde, à la limite entre la vie et la mort. La haine est sortie, le rangement a été fait de la cave au grenier.